Publié le 5 mars 2022 sur le site de l’European Network on Independent Living[1]European Network on Independent Living : Réseau Européen pour la Vie Autonome (ENIL).

Texte original en anglais. Traduit au féminin générique par Laetitia pour Les Dévalideuses.

 

Le concept de Vie autonome est bien plus ancien que la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Il a joué un rôle clé dans la rédaction de la CDPH, en particulier de l’article 19, mais il sous-tend également d’autres articles, dont aucun ne peut être réalisé sans la vie autonome. L’article 19 énonce le droit de choisir où, avec qui et comment vivre sa vie. Cela permet l’autodétermination sur laquelle repose la vie autonome. L’indépendance et l’interdépendance font l’objet d’un débat permanent ; l’ENIL considère que tous les êtres humains sont interdépendants et que le concept de vie autonome ne va pas à l’encontre de ce principe. La vie autonome ne signifie pas être indépendante des autres, mais avoir la liberté de choisir et de contrôler sa propre vie et son propre style de vie.

L’ENIL définit la vie autonome comme la démonstration quotidienne de politiques en matière de handicap fondées sur les droits humains. La vie autonome est possible grâce à la combinaison de divers facteurs environnementaux et individuels qui permettent aux personnes handicapées de contrôler leur propre vie.  Cela inclut la possibilité de faire de vrais choix et de prendre des décisions concernant leur lieu de vie, les personnes avec lesquelles elles vivent et la manière dont elles vivent. Les services doivent être disponibles, accessibles à toutes et fournis sur la base de l’égalité des chances, du consentement libre et éclairé et de la flexibilité pour les personnes handicapées dans leur vie quotidienne. La vie autonome exige que l’environnement bâti, les transports et l’information soient accessibles, qu’il y ait une disponibilité d’aides techniques, un accès à l’assistance personnelle et/ou aux services de proximité. Il est nécessaire de souligner que la vie autonome s’adresse à toutes les personnes handicapées, indépendamment de leur genre, de leur âge et du niveau de leurs besoins d’assistance.

Le droit à la vie autonome

Le droit de vivre de manière autonome et d’être incluse dans la communauté est énoncé à l’article 19 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). L’article 19 exige des États parties à la Convention qu’ils veillent à ce que les personnes handicapées « aient la possibilité de choisir leur lieu de résidence, où et avec qui elles vivent, sur la base de l’égalité avec les autres, et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un cadre de vie particulier ». Elles doivent bénéficier d’une gamme de services de proximité « nécessaires pour favoriser la vie et l’inclusion dans la communauté et pour prévenir l’isolement ou la ségrégation ». Les services et équipements généraux doivent également être rendus accessibles « sur une base d’égalité aux personnes handicapées » et « répondre à leurs besoins ». Selon le Comité des droits des personnes handicapées (Comité de la CDPH), l’article 19 est « l’un des articles les plus vastes et les plus transversaux » et « fait partie intégrante de la mise en œuvre de la Convention dans tous ses articles ». Sans vie autonome, les personnes handicapées ne peuvent pas exercer de nombreux autres droits.

Les Observations générales, adoptées par le Comité de la CDPH, fournissent des recommandations faisant autorité aux États parties et doivent être utilisées par ces derniers pour interpréter leurs obligations en vertu de la CDPH. L’Observation générale 5 sur la vie autonome et l’inclusion dans la communauté énonce les obligations des États parties au titre de l’article 19 et est essentielle pour promouvoir la mise en œuvre du droit à une vie autonome dans la pratique. Elle comprend, entre autres, des définitions de la vie autonome, des placements en institution et de l’assistance personnelle.

Selon l’Observation générale n° 5, la vie autonome signifie que « les personnes handicapées disposent de tous les moyens nécessaires pour leur permettre d’exercer un choix et un contrôle sur leur vie et de prendre toutes les décisions les concernant ». L’autonomie personnelle et l’autodétermination sont fondamentales pour une vie autonome, y compris l’accès aux transports, à l’information, à la communication et à l’assistance personnelle, au lieu de résidence, à la routine quotidienne, aux habitudes, à un emploi décent, aux relations personnelles, à l’habillement, à la nutrition, à l’hygiène et aux soins de santé, aux activités religieuses, aux activités culturelles et aux droits sexuels et reproductifs ».

Différentes organisations ont développé des indicateurs utiles sur la manière de suivre la mise en œuvre de l’article 19 de la CDPH, notamment le Commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe et l’Agence des droits fondamentaux de l’UE. Le réseau européen d’experts universitaires dans le domaine du handicap – ANED (actuellement appelé European Disability Expertise – EDE) a publié une série de rapports nationaux sur le droit à l’autonomie en 2019, incluant un rapport de synthèse sur la situation en Europe. Leurs rapports sont disponibles ici.

Bref historique du mouvement pour la vie autonome

Le mouvement pour la vie autonome a vu le jour aux États-Unis à la fin des années 1960, lorsque plusieurs personnes handicapées ont participé à un « crip camp » (« camp d’été » pour militantes handicapées) et ont fait part de leur frustration face à l’exclusion générale des personnes handicapées de la société américaine dominante. En 1972, certaines de ces militantes ont ouvert le premier centre pour la vie autonome (CIL) à l’université de Berkeley, en Californie. C’est à partir de là qu’est né le mouvement pour la vie autonome. Adolf Ratzka, qui a contracté la polio alors qu’il était adolescent en Allemagne, a obtenu une bourse et s’est rendu à Berkeley, où il a été enthousiasmé par le concept de vie autonome. Il s’est ensuite installé en Suède et a créé la Stockholm Cooperative of Independent Living (STIL) dans les années 1980. Au Royaume-Uni, John Evans et d’autres résidents de l’institution Le Court ont créé le projet 81, afin de devenir libres et de vivre dans leur propre logement avec une assistance personnelle (payée par leurs budgets personnels). En 1989, plusieurs militantes handicapées de toute l’Europe se sont réunies à Strasbourg pour créer un nouveau mouvement pan-européen pour la vie autonome – l’ENIL. En 1990, l’ENIL a adopté ses sept principes de vie autonome. Notre publication « Independent Living Heroes – past, present and future » présente certaines de celles qui ont fait de l’ENIL ce que l’organisation est aujourd’hui – un puissant mouvement de personnes handicapées en faveur de l’autonomie.

« La vie autonome est une philosophie et un mouvement rassemblant des personnes handicapées qui œuvrent en faveur de l’autodétermination, de l’égalité des chances et du respect de soi. [….] La vie autonome signifie que nous exigeons les mêmes choix et le même contrôle dans notre vie quotidienne que nos frères et sœurs non handicapés, nos voisines et nos amies considèrent comme allant de soi. Nous voulons grandir dans nos familles, aller à l’école du quartier, prendre le même bus que nos collègues, occuper des emplois correspondant à notre formation et à nos centres d’intérêt, et fonder notre propre famille. Puisque nous sommes les meilleurs expertes de nos besoins, nous devons trouver les solutions que nous voulons, prendre nos vies en main, penser et parler pour nous-mêmes, comme tout le monde. À cette fin, nous devons nous soutenir et apprendre les unes des autres, nous organiser et œuvrer pour des changements politiques qui conduisent à la protection juridique de nos droits humains et civils. Nous sommes des personnes tout à fait ordinaires qui partagent le même besoin de se sentir intégrées, reconnues et aimées. Tant que nous considérerons nos handicaps comme des tragédies, nous serons prises en pitié. Tant que nous aurons honte de ce que nous sommes, nos vies seront considérées comme inutiles. Tant que nous resterons silencieuses, les autres nous diront quoi faire ». Adolf Ratzka

Kapka Panayotova, décédée en 2021, était une figure clé de la promotion de la vie autonome en Europe centrale et orientale et présidente de longue date de l’ENIL. Dans sa Bulgarie natale, ainsi que dans les pays voisins, elle a défié les institutions, les prestataires de services et les gouvernements, et a permis à d’innombrables personnes handicapées de se battre pour leur droit à la vie autonome. Kapka était parfois surnommée la « bonne sorcière de la vie autonome ». Pour comprendre pourquoi, regardez ces deux interviews – la première et la seconde.

Les douze piliers de la vie autonome

En 1981, les centres pour la vie autonome (CIL) du Royaume-Uni ont défini sept besoins en matière de vie autonome, sur la base des cinq services de base mis au point par le premier CIL à Berkeley. Il s’agit de l’information, du soutien par les paires, du logement, de l’équipement, de l’assistance personnelle, des transports et de l’accessibilité. Ils sont devenus un véritable guide pour la mise en place des CIL à l’époque, et constituent toujours une référence précieuse aujourd’hui. Plus tard, en 2010, les sept besoins ont été élargis par le Hampshire Centre for Independent Living au Royaume-Uni pour devenir les « douze piliers de la vie autonome », parfois appelés les « douze piliers de la pleine citoyenneté ». Il s’agit essentiellement des droits fondamentaux dont les personnes handicapées ont besoin pour vivre de manière autonome.

  1. Des informations adaptées et accessibles

  2. Un revenu suffisant

  3. Des soins de santé et des services sociaux adaptés et accessibles

  4. Un réseau de transport totalement accessible

  5. Un accès complet à l’environnement

  6. Une mise à disposition adaptée d’aides et d’équipements techniques

  7. Des logements accessibles et adaptés

  8. Une assistance personnelle adaptée

  9. L’accès à une éducation et à une formation inclusives

  10. L’égalité des chances en matière d’emploi

  11. L’accès à des services indépendants de défense des droits et de promotion de l’autonomie

  12. L’accès à des services de soutien entre paires

Le travail de l’ENIL pour promouvoir la vie autonome

L’ENIL plaide en faveur d’une vie autonome pour toutes les personnes handicapées. Nous le faisons de différentes manières. Par exemple, nous luttons contre le détournement de la terminologie de la vie autonome en sensibilisant à la signification de celle-ci et en promouvant des définitions de la vie autonome. Nous avons élaboré un « Myth Buster » (démystificateur) sur la vie autonome, qui a été traduit dans de nombreuses langues. Pour améliorer la compréhension de la notion de vie autonome, nous avons publié des fiches d’information sur la vie autonome et les enfants, la vie autonome pour les personnes déficientes intellectuelles et la vie autonome pour les personnes présentant des problèmes de santé mentale.

L’ENIL suit la mise en œuvre de la vie autonome au niveau européen – par le biais de notre enquête sur la vie autonome – et nous diffusons ces informations dans des rapports alternatifs, des notes d’information et d’autres types de documents politiques. En 2017, nous avons mené des recherches sur les obstacles à la vie autonome hors de l’Europe. Ce rapport a tenté d’établir si la compréhension de la vie autonome était différente dans d’autres pays. Il a révélé que la vie autonome est pertinente dans tous les contextes culturels, mais que de nombreux freins subsistent. Grâce à notre réseau de recherche sur la vie autonome (ILRN), nous essayons de faire le lien entre la recherche et le militantisme, et nous encourageons régulièrement la recherche émergente sur la vie autonome.

L’ENIL met en avant des exemples de bonnes pratiques, montrant ainsi aux gouvernements ce qu’il faut faire pour que les personnes handicapées aient accès à la vie autonome. Notre domaine prioritaire est l’assistance personnelle, en tant qu’outil clé de la vie autonome, mais nous défendons également d’autres aides et services de proximité, ainsi que les aides techniques, l’accès au logement, etc. Notre travail sur la désinstitutionnalisation est également pertinent, car une vie autonome pour toutes n’est pas possible tant que les institutions ne sont pas fermées.

Nos campagnes, telles que la Freedom Drive et la Journée européenne pour la vie autonome, offrent à nos membres et à d’autres militantes en faveur de la vie autonome l’occasion de nouer des liens et de promouvoir la vie autonome dans leur pays.

L’ENIL donne aux personnes handicapées les moyens de plaider en faveur du changement dans leur propre pays et les aide à créer des centres pour la vie autonome et d’autres initiatives locales. Notre manuel pour la vie autonome fournit aux militantes des outils pour le changement. Toutes les ressources et campagnes mentionnées dans cette deuxième partie sont disponibles sur notre site web.

Pourquoi l’ENIL utilise le terme « personnes handicapées » ?

Le terme « personnes handicapées » est associé au modèle social du handicap qui a vu le jour au Royaume-Uni dans les années 1970. À l’époque, un groupe de militantes handicapées appelé UPIAS a rédigé un Manifeste dans lequel elles établissaient une distinction nette entre déficience et handicap. Elles considéraient que la déficience était liée à des différences biologiques et à la manière dont le corps et l’esprit des personnes fonctionnaient. En revanche, le handicap est une forme de restriction injustement imposée aux personnes handicapées en raison de l’organisation de la société. L’idée est donc que le handicap est une forme d’oppression sociale. Plus tard, dans les années 1980, Mike Oliver, un éminent spécialiste des disability studies, a inventé pour la première fois l’expression « modèle social du handicap ». Le handicap était présenté non pas comme une caractéristique personnelle, comme le suggère le langage centré sur la personne, mais comme une forme d’oppression sociale.

Les personnes ne peuvent donc pas « posséder » un handicap, mais sont plutôt handicapées par la société à travers le processus de handicap (en raison de diverses formes d’obstacles handicapants). Il s’agit là d’un point important pour le développement d’une identité handicapée politisée et cette idée est au cœur du mouvement pour la vie autonome. De plus en plus, les personnes handicapées du monde entier choisissent de s’identifier comme « handicapées » (par la société).

La CDPH reconnaît que le handicap est un concept évolutif, mais ne le définit pas. Sur la base du processus de négociation et des travaux préparatoires, il est clair qu’une définition du handicap a été intentionnellement laissée de côté. Seule une description a été utilisée dans l’article 1, qui indique simplement qui peut être considéré comme une « personne handicapée ». Ce point est largement débattu dans la littérature juridique et les commentaires de la CDPH. Au cours du processus de négociation de la CDPH, de nombreuses militantes handicapées ont proposé le terme « handicapée » comme étant celui qui reflète le mieux le modèle social du handicap. Toutefois, un compromis a été trouvé pour laisser le terme « personne » dans la CDPH, car il a été considéré qu’il serait plus facile à traduire dans d’autres langues de l’ONU.

En raison d’un manque de compréhension du modèle social du handicap ainsi que de l’identité et du militantisme des personnes handicapées, certains documents commettent l’erreur de dire que le terme « personnes handicapées » est péjoratif.

Pour en finir avec les idées reçues sur la vie autonome

Edition de 2022 disponible en anglais.

Edition de 2014 traduite en français.

References

References
1 European Network on Independent Living : Réseau Européen pour la Vie Autonome