Lettre rédigée par Avril, membre de la coordination des Dévalideuses.
Crédit photo : Chris Dyn
CherE députéE,
Je comprends que votre décision de voter la loi fin de vie est déjà prise… Et je comprends pourquoi. Voter cette loi est très séduisant. Elle est populaire et vous donne une image progressiste et positive. En somme, c’est un moyen facile de faire quelque chose qui sera apprécié par la majorité de la population.
A l’inverse, ce que nous vous demandons est plus difficile : prendre du recul, ne pas tomber dans une logique simpliste. Nous vous demandons de faire un choix qui risquerait de vous donner (à tort) une image conservatrice. Pourtant, ce choix moins populaire est celui à faire si vous êtes réellement un soutien pour les plus vulnérables d’entre nous !
Dans une tribune parue dans le journal Le Monde (à lire ici), un professeur d’éthique néerlandais explique comment il a changé d’avis sur la loi fin de vie en voyant que le nombre d’euthanasies est en constante progression dans son pays et concerne des personnes qui ne sont pas réellement en fin de vie. Cette constatation a également été faite au Canada où de plus en plus de personnes précaires ont accès à l’assistance médicale à mourir pour des raisons en réalité purement financières.
Créer une loi telle que celle-ci met en grande détresse de nombreuses personnes handicapées. Je vous invite grandement à regarder le documentaire Better off dead dans lequel Liz Carr, actrice et militante antivalidiste, présente comment le validisme de la société normalise l’idée que les personnes handicapées seraient « mieux mortes ». Vous pouvez aussi lire cette FAQ du collectif Canadien Toujours Vivant, Not Dead Yet pour le comprendre.
Je vous invite également à prendre le temps de lire l’interview de la philosophe handicapée et antivalidiste Charlotte Puiseux « L’euthanasie n’est pas de gauche » et à consulter la tribune et les témoignages sur le site du collectif Jusqu’au bout Solidaire (JABS) avant de prendre une décision définitive.
J’ai bien conscience que se faire un avis nuancé en prenant en compte tous les arguments demande du temps (que vous n’avez peut-être pas) alors que voter simplement cette loi est plus rapide et plus populaire. Mais c’est la seule chose réellement morale à faire! En effet, notre avis n’a jamais été entendu dans les débats. Nous n’y avons pas été invitéEs. Même lors de la convention citoyenne sur ce sujet, aucune personne handicapée n’était présente ni aucune association anti-validiste… Ce n’est absolument pas normal dans un débat démocratique !
Souvenez-vous, s’il-vous-plaît, de la crise sanitaire du Covid et du moment où un tri des patients pour avoir accès aux lits de réanimation était nécessaire. A ce moment-là, le choix le plus populaire était celui de ne pas donner accès aux meilleurs soins aux personnes handicapées et âgées afin de favoriser les chances de survie des personnes jeunes et valides. C’est la preuve, selon moi, du validisme et de l’agisme intégré de la société (médecins compris) puisque la vie de ces personnes leur semble avoir moins de valeur. Comment une application de l’euthanasie pourrait alors se faire sans aucun de ces biais ? C’est impossible et malgré toutes les limites possibles et précautions que vous ajouterez à cette loi (même si vous en avez déjà rejeté plusieurs en commission des affaires sociales) celle-ci dit aux personnes vulnérables que c’est plus facile de les aider à mourir que de les aider à vivre.
En effet, l’accès aux soins des personnes handicapées reste difficile en France comme le dit la défenseure des droits dans son rapport, l’AAH est en dessous du seuil de pauvreté, l’application de la loi de 2005 sur l’accessibilité est sans cesse repoussée, la discrimination au travail des personnes handies et malades chroniques n’a pas diminué etc…
Il ne faut pas non plus ignorer les avantages financiers extrêmement cyniques de cette loi : aider une personne à mourir, c’est moins coûteux pour l’État que de l’aider à vivre. D’ailleurs, grâce à cette loi, le Canada a déjà fait des économies. Mais est-ce vraiment ce que l’on souhaite ?
Aussi, je vous demande (vous supplie même) de vous renseigner au maximum, d’écouter les avis divergents, de ne pas tomber dans la facilité, vous souvenir que la solidarité est la plus grande valeur de la gauche et que cette loi, contrairement à ce que l’on pourrait croire, est le contraire de la solidarité.
Après tout ce travail de recherche, je ne doute pas que vous prendrez conscience que l’euthanasie n’est pas de gauche. Elle est au contraire une solution de facilité par rapport à la solidarité et un aveu d’échec des services publics (médicaux et sociaux). C’est une loi qui n’est bonne que pour une population bourgeoise qui a accès à toutes les possibilités de soins, d’accessibilité, de logement, de loisirs mais qui choisirait quand même et tout à fait librement la mort.
Vous vous dites peut-être que ne pas voter cette loi correspond à refuser un service à des personnes qui souffrent énormément et sont en fin de vie. C’est faux car elles y ont déjà droit. Si la loi Clayes-Léonetti était mieux connue et appliquée, les personnes en fin de vie pourraient être beaucoup mieux accompagnées jusqu’au bout. Cette loi permet en effet une sédation profonde et un arrêt des traitements, hydratation et nutrition compris, dans ces cas difficiles. Ces mesures ne permettent pas une euthanasie à proprement parler mais permettent de précipiter la mort sans aucune souffrance (sédation profonde). Pourtant, l’absence de centre de soins palliatifs dans tous les départements et surtout la méconnaissance de cette loi par les docteurEs et les patientEs empêchent sa pleine application.
Avec la loi Clayes-Léonetti, une loi fin de vie est inutile. Elle est inutile sauf si on assume que la majorité de la population pense que d’autres personnes sont un fardeau pour leur famille et la société, que leur mort est préférable à leur vie (ce que redoute un certain nombre de psy dans leur appel). C’est ce qu’a d’ailleurs exprimé le président Trump en voyant le fils autiste de son neveu. Il a suggéré de le laisser mourir et aurait dit à propos des personnes handicapées que, vu ce qu’elles coûtent à la société, il vaudrait sans doute mieux les faire mourir. Étant donné la fascisation actuelle de la société, n’est-il pas extrêmement dangereux de faciliter l’accès à la mort d’une certaine catégorie de personne ? Ne risquons-nous pas une montée de l’eugénisme ?
A l’heure actuelle déjà, on mettrait tout en œuvre pour empêcher le suicide d’une population valide mais ferions moins d’effort pour le prévenir chez une population handicapée car on jugerait cette envie de mort comme légitime. C’est ce qui a dailleurs déjà été observé en Espagne comme vous pouvez le lire dans cet article d’Elena Chamorro, militante antivalidiste “De l’importance de savoir qui on laisse mourir, et pourquoi”. Or, ça l’est que si on pense sincèrement qu’une vie handicapée vaut moins d’être vécue. Elle est effectivement, dans beaucoup de cas, plus dure à vivre, mais elle pourrait ne plus l’être s’il y avait une véritable ambition politique en ce sens. Au contraire, il a déjà été voté un “délit d’entrave” qui condamne toute personne qui tenterait de dissuader le recours au suicide assisté ce qui interdit donc la prévention du suicide auprès des personnes malades et handicapées alors même que le “délit d’incitation au suicide” a été rejeté. Aujourd’hui on a donc le droit d’inciter une personne à mourir mais pas le droit de l’inciter à vivre. Comment ne pas déceler déjà un risque immense de dérives ?
J’imagine votre envie de me rétorquer que je ne cesse de parler de personnes handicapées alors que le texte ne fait pas mention de ce terme. Or, une grande part des personnes handicapées le sont du fait d’une maladie. Et cette maladie pourrait un jour être la raison de leur mort. De fait, les personnes handicapées sont bien la cible de cette loi. D’ailleurs, le critère n°3 des conditions d’accès stipule qu’il faut être atteint d’une “affection grave et incurable quelle qu’en soit la cause” qui “engage le pronostic vital en phase avancée ou terminale”. Nous ne parlons pas ici de personnes en agonie mais d’innombrables personnes atteintes d’affection de longue durée et de personnes handicapées.
Enfin, sachez que je suis en réalité pro-choix. Mais je veux que tout le monde puisse faire un choix complètement libre et dépourvu de biais validistes. Je vous demande aujourd’hui d’opter, non pas pour faciliter la fin de vie des plus vulnérables, mais pour un projet de société réellement inclusif, tolérant, avec des services publics performants et pensés pour tous les humains sans exception, quelles que soient leurs capacités physiques ou mentales, leur autonomie. Dans ce monde égalitaire, nous pourrions décider de mourir librement. Mais ce monde n’existe pas encore.
Je vous remercie d’avance de faire le bon choix et de voter contre la loi fin de vie.