Tribune co signée par : CLE Autistes, CLHEE, Handi-social, Les Dévalideuses
Les politiques irresponsables menées depuis des décennies vis-à-vis du système de santé ont mené aujourd’hui à une impossibilité de prendre en charge la totalité des patientes et patients du covid 19. Les profits ont été favorisés au détriment des vies humaines, ce qui conduit dans un contexte pandémique à un triage des individus dans l’accès aux soins. Les idéologies validistes et eugénistes qui sous-tendent la société trouvent alors un essor sans précédent et se dévoilent au grand jour sans aucune limite.
Ainsi, certains cas de personnes handicapées à qui des soins ont été refusés à cause de leur handicap commencent à être évoqués dans les médias, notamment dans des pays encore plus touchés que la France, tels les États Unis. Mais qu’en est-il en France ?
Le mardi 17 mars 2020, un texte est remis à la Direction générale de la Santé qui doit aider les médecins à faire des choix en cas de saturation des lits de réanimation pour les malades du coronavirus. Le 21 mars, Médiapart a diffusé un document interne du CHU de Perpignan sur le triage. On y découvre que certaines morts sont considérées acceptables. Parmi elles, celles des personnes âgées ou polypathologisées (grande dépendance, démence…). Un score de fragilité est mis en place qui classe les patients et patientes en s’appuyant sur leur état de santé avant le covid 19. La dépendance dans les actes de la vie quotidienne est un élément majeur de refus en réanimation, tout comme les cas de démence. De plus, au-delà des recommandations, on doit considérer l’impact des représentations sociales prégnantes, qui n’est pas pris en compte.
Les corps sont hiérarchisés avec la validité au sommet, rejetant au fur et à mesure les personnes handicapées selon la gravité de leur handicap. Gravité qui n’est absolument pas toujours liée à la question de la morbidité mais quantifiée par rapport aux normes validistes, ces normes venant du capitalisme qui privilégie les personnes aptes à vendre leur force de travail.
Le triage s’effectue aussi à domicile avec le retrait de traitements ou d’appareillages de certains patients et certaines patientes pour que leur matériel puisse servir en réanimation liée au Covid. Ainsi, des témoignages montrent que des bouteilles d’oxygène sont retirées à des personnes ayant des algies vasculaires de la face pour être réquisitionnées dans la lutte contre la pandémie.
Au niveau politique ce triage est nié. Le Défenseur des droits, interpellé plusieurs fois par des militants et militantes en situation de handicap ne réagit pas face à ce qui est pourtant une atteinte à nos droits les plus fondamentaux qui supposent « l’égale considération de toutes les vies humaines indépendamment de toute considération associée aux personnes ».
A l’instar des EHPAD, dont on entend beaucoup parler, les institutions avec internat pour personnes handicapées sont devenues des bombes à retardement pour ce qui est de l’épidémie de covid19. Manque de personnels, manque d’équipement permettant la non-prolifération du virus (masques, visières, charlottes, blouses, sur-chaussures, …), au-delà de la promiscuité, les conditions n’étant déjà pas acceptables habituellement, le sont encore moins dans cette situation. La société laisse le virus entrer dans ces lieux, ce qui les transforme en lieux de contaminations extrêmes qui engendrent, comme on l’a vu plus haut, des situations de rupture de la prise en charge sanitaire et des taux de décès énormes. Souvent confinées dans leurs chambres, privées de tous contacts avec leurs proches et de tout moyen de communication alternatif tels que ceux déployés dans les institutions pénitentiaires, les personnes handicapées se retrouvent dans une situation de grande détresse psychique et de danger physique, livrées à toute sorte d’abus potentiels, dans des institutions opaques qui échappent à tout contrôle indépendant. En situation de crise, elle se trouvent à présent privées de leur droit à la liberté à l’accès aux soins, à la dignité, à la vie. Les institutions se révèlent être un piège épidémiologique.
De nombreux témoignages recensent une aggravation de l’état des personnes handicapées : des cas graves d’automutilations, des enfants appelant leurs parents toute la journée, des personnes se laissant mourir, ne s’alimentant plus. Surtout, la continuité des protocoles de soin et d’aide quotidienne est revendiquée par le gouvernement et les gestionnaires, mais ils ne sont pas réalisés dans la réalité. Le personnel, même en renfort de la réserve sanitaire, n’a plus le temps de respecter l’accompagnement des personnes, les sous-effectifs sont chroniques dans certaines structures médico-sociales et hospitalières. Ces situations laissent les gens confinés malgré eux dans une situation d’indignité. Contrairement aux raisons avancées pour les confiner, ces lieux ne protègent pas les personnes handicapées.
CLE Autistes a saisi le Conseil d’Etat le 28 mars en contestant la légalité de ces décisions par rapport à la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Le Conseil d’État a rejeté la requête en justifiant la supériorité des droits des directeurs d’établissements, plutôt que les droits des personnes handicapées. Le gouvernement avait appuyé sa décision sur la base de l’expertise médicale du HCSP1, en balayant ces critiques. Mais le HCSP justifie la fragilité des personnes sur une base biologique et validiste, et non construite socialement par un contexte institutionnel de privation de libertés. Pourtant, le gouvernement a assoupli les conditions de sortie en établissements le 6 avril dernier, toujours sur avis médical, le jour même de l’audience, reconnaissant par là son erreur de départ.
Quant aux structures en externat pour enfants et adultes, la fermeture de certaines d’entre elles ne s’est accompagnée d’aucune poursuite du suivi ni d’assistance personnelle. Le gouvernement s’est contenté d’un relayage, refusant un accompagnement individualisé aux familles. Pire, les conditions d’accueil en établissements ont été assouplies pour fournir un répit pour les familles les plus en difficultés. Avec une surcapacité autorisée et un hébergement temporaire, la mise en danger ou le risque de maltraitances est réel, d’autant plus qu’on expose ainsi les personnes handicapées au virus. .
L’assistance personnelle à domicile est le seul moyen pour les personnes handicapées de vivre de manière autonome. Elle doit être aussi prioritaire dans la période actuelle que le sont les hôpitaux. Or, nous constatons un désintérêt flagrant de la part du gouvernement. Aucune mesure n’a été prise pour soutenir les salariés, aucune protection (masques, gants, visières, charlottes, blouses, sur-chaussures….) ne leur a été spécifiquement dédiée, leur laissant les « restes » des stocks déjà insuffisants distribués aux pharmacies. Ainsi, des assistants personnels ont dû se rendre chez des dizaines de personnes dépendantes dans une même journée sans pouvoir garantir l’absence de risque de transmission du virus. Les assistants personnels, comme tous les salariés, ont parfois dû s’arrêter de travailler parce qu’ils sont tombés malades, pour garder leur enfant ou parce qu’ils sont à risque. Ainsi, dans un domaine déjà en pénurie d’effectifs, les besoins, y compris vitaux, n’ont pas pu être garantis. Les personnes dépendantes, celles- là même dont la prise en charge sanitaire est remise en cause, se sont donc vues mettre en grand danger de contamination et en grand danger de par des carences étatiques pour faire face à leurs besoins vitaux. Les services prestataires et mandataires ont parfois pu bénéficier de l’apport de masques fournis par les conseils départementaux mais au niveau national rien a été prévu et l’emploi direct est resté, comme toujours, le grand oublié dans l’assistance personnelle. De nombreuses personnes dépendantes ont dû avoir recours, faute d’alternative, à leurs proches (pour ceux qui en ont) pour éviter une rupture de leur accompagnement ou pour éviter les trop grands risques de contamination par des personnels sous équipés.
Au vu de tout ce qui vient d’être exposé, nous exigeons:
Des actions immédiates pour assurer la continuité sans interruption du soutien apporté par les personnes travaillant de manière formelle ou informelle comme auxiliaires de vie ainsi que leur approvisionnement en matériels de protection de base.
La mise en place d’un contrôle exhaustif de la situation dans les établissements afin de veiller à la correcte application des mesures de prévention et de protection des travailleurs et des résidents.
Le respect absolu des droits humains et du principe de non-discrimination dans les traitements sanitaires et les mesures d’urgence nécessaires à la prise en charge des personnes handicapées.
Nous, personnes handicapées, tenons à rappeler qu’aucune situation, aussi exceptionnelle soit-elle, ne justifie une discrimination fondée sur le handicap et que l’obligation de respecter les droits humains reste en vigueur et doit être prise en compte, y compris dans les situations difficiles comme celle que nous vivons aujourd’hui.
1 Haut Conseil de santé publique