Neuroexpansif* (adj.) : Un rejet du terme “neurodivergent[1]Terme inventé par Kassiane Asasumasu, provenant de “neurotypique” [voir Judy Singer, 1990] également défini par Merriam Webster comme “non affecté par un trouble du développement et en … Continue reading et de l’idéologie qui le soutient[2]La blanchité n’est pas au centre de nos expériences [Noires]. Nous ne divergeons d’aucune “norme” ou “standard” des corps ou esprits in/valides blancs. Le fait d’être Noire et … Continue reading.

*Ce terme est pour l’usage spécifique des personnes Noires handicapées. 

 

Texte original.

Écrit par Ngwagwa et publié le 13 janvier 2022, traduit par ClemZ pour les Dévalideuses, au féminin générique.

 

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Les efforts des personnes Noires pour créer des moyens accessibles et communautaires de s’engager dans des luttes anti-impérialistes, anti-colonialistes et anti-eugénistes, existent depuis longtemps au cœur du système impérial et globalement avant l’existence des organisations contemporaines de lutte pour la disability justice[3]Justice pour les personnes handicapées.. Des organisatrices Noires handicapées comme Claudia Jones, Fannie Lou Hamer, Ella Baker et Marsha P.Johnson ont utilisé le langage pour défier les normes et les conditionnements intrinsèques à leurs mouvements. La disability justice se construit depuis presque deux décennies (seize ans), et se positionne au premier plan des mouvements de revendication pour une vie indépendante et des soins médicaux universels. Alors que les personnes handicapées continuent de partager leurs expériences, nous réalisons de plus en plus à quel point le validisme est, de façon implicite ou explicite, présent partout, et pas seulement dans nos relations personnelles et dans les espaces d’activisme, mais aussi dans le monde entier. La définition de travail, complète et évolutive du validisme proposée par Talila A. Lewis, m’a aidé·e à clarifier mon engagement à développer des aptitudes et du soutien pour et avec les personnes Noires handicapées de ma communauté. Cette définition a approfondi ma compréhension des origines du validisme et des façons anodines dont il est répliqué dans nos relations quotidiennes et produit (pour moi) par le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme.

En août 2020, Talila “TL” Lewis a publié sur son blog un article appelé “Pourquoi je n’utilise pas le terme “validisme anti-Noir” (& aspirations linguistiques). Ce qui m’a vraiment touché·e, c’était l’appel à “penser, vocaliser, construire, réunir, discuter et remettre en cause”.

Quel mot ou expression peut être créé collectivement pour expliquer la façon dont les personnes Noires font l’expérience d’un validisme racialement amplifié ou d’un validisme manipulé ou influencé par le racisme ?

— TL

Bien que je sois encore bien loin d’avoir trouvé une réponse à la question ci-dessus, j’ai toutefois commencé à réfléchir à un langage qui refléterait mieux les conditions de faiblesse, de handicap et de validisme pour les personnes Noires.

Malgré la prépondérance des termes “neurodivergence”, “neurodiversité” et “neurotypique” dans les communautés de personnes handicapées, ces termes ne décriront jamais précisément les bodyminds[4]Littéralement : “corps-esprit”. ”Bodyminds Reimagined: (Dis)ability, Race, and Gender in Black Women’s Speculative Fiction by Sami Schalk, (pg. 6)”le terme bodymind aide à souligner la … Continue reading Noirs, car nous n’avons jamais été “neurotypiques”.

Neurotypique : non affecté par un trouble du développement et plus spécialement un trouble du spectre de l’autisme : présentant les caractéristiques d’un développement neurologique typique.

— Dictionnaire Merriam Webster 

 

C’est pourquoi j’invite les personnes Noires (seulement et spécifiquement) à explorer le terme “neuroexpansif”.

Neuroexpansif (adj.) : Un rejet du terme “neurodivergent”[5]Formulé par Kassiane Asasumasu (voir note 1) et de l’idéologie qui le soutient.

J’écris ceci pour nous encourager à nous affranchir des définitions d’in/validité et des expériences de bodymind blanches, cis, hétéro, patriarcales, sanitariennes. Le bodymind valide blanc n’est pas la “norme”, le “typique” ou la ligne à partir de laquelle nous divergeons.

Depuis le début de la pandémie, de nombreuses adultes ont découvert qu’elles étaient peut être neurodivergentes, vivant en particulier avec des TDAH ou de l’autisme non diagnostiqué (ou les deux). Quand cet article a été publié en juillet 2021, il a amplifié la discussion autour des sous/non-diagnostiques des personnes Noires et de minorités de genre.

“Les signes d’inattention ou d’impulsivité, deux grands symptômes de ce trouble, peuvent être pris pour de la paresse ou de la défiance”. Des femmes Noires diagnostiquées avec un TDAH peuvent enfin commencer un processus de soin”

— The Washington Post

Au sein du complexe médico-industriel, l’incapacité à reconnaître le handicap parmi ces groupes est extrêmement répandue et entraîne une aggravation des symptômes (souvent criminalisés et punis) même tard dans la vie adulte.

Nous pouvons voir dans l’exemple ci-dessus comment le langage colonial impacte les diagnostics, excluant et négligeant un grand nombre de personnes Noires déjà marginalisées. Le langage décrivant l’idée ou la fonction d’un bodymind typique normatif néglige en premier lieu totalement le langage centré sur l’accessibilité, ce qui exclut les personnes handicapées touchées par du racisme anti-Noir.

Le handicap n’apparaît pas de la même façon chez les personnes Noires et chez les personnes blanches. Nous devons nous montrer méfiantes des disciplines psy qui sont profondément ancrées dans les idéologies anti-Noires et d’autres systèmes d’oppression. Ces systèmes sont conçus pour pathologiser ou effacer le fait d’être Noir, tout en légitimant ses fonctions dans les institutions, les politiques et les comportements sociaux.

Alors que nous vivons une pandémie mondiale, nous ne pouvons plus nous contenter d’être les laissées pour compte, attendant que quelqu’un de moins marginalisé se préoccupe de ce dont nous avons besoin pour survivre. Il devient difficile d’imaginer comment notre libération collective pourrait reposer sur des alliées ou des camarades alors que l’élimination de personnes Noires trans et handicapées est devenue acceptable pour obtenir des compromis au sein de coalitions.

Nous ne devrions pas attendre que la lutte pour la disability justice s’élargisse – les personnes Noires handicapées doivent développer des pratiques autonomes hors de ce cadre. Que ces efforts soient ou non utilisés pour développer la disability justice ou pour développer de nouveaux systèmes qui représentent mieux nos expériences , les personnes Noires handicapées ne devraient pas se sentir obligées de se mettre en difficulté dans des espaces qui ne leur conviennent pas. Les personnes handicapées comprennent parfaitement que les connaissances générées par la communauté peuvent être une question de vie ou de mort, y compris sur les espaces liminaux. Il y a de nombreuses formes de handicaps cognitifs, physiques, visibles et invisibles. Nous avons besoin de meilleures pratiques holistiques pour résister à toutes les galères que l’État nous fait subir.

Je serais curieux·se de voir ce que ça donnerait si des personnes Noires handicapées trans et spiritualistes participaient à la mise en place de mesures de sécurité pour la protection de la communauté. Quelles discussions et pratiques sont possibles quand nous parlons ouvertement des problèmes que peuvent rencontrer des spiritualistes Noires avec leurs talents potentiels hors des pratiques communautaires validistes ?

Nous aurons besoin de davantage d’aide et de soutien dans notre processus de clarification des relations compliquées générées par le conditionnement de l’État. Ces choses demanderont un travail que certaines d’entre nous ne font que commencer. Il y a une grande déconnexion avec les pratiques et relations indigènes, mais je pense qu’elles contiennent une immense sagesse à laquelle nous devrions nous reconnecter dans notre voie vers la libération.

Je suis convaincu·e qu’une analyse portant sur la disability justice serait grandement renforcée par une pratique anarchiste Noire.

Je propose le concept de neuroexpansivité comme un exemple de cela. Les mouvements autonomes Noirs sont créés de façon organique par des personnes qui font ce qui marche le mieux pour elles, pas en tant qu’individus mais collectivement. Au sein du mouvement pour la disability justice, les histoires les plus marquantes que j’ai entendues étaient des récits de personnes Noires indigènes reliant les impacts de la colonisation et de la suprématie blanche au validisme. Les personnes blanches marginalisées peuvent faire ce qu’elles veulent. Il y a une telle suprématie blanche qu’il n’y a pas moyen que j’aide à accorder leurs affinités avec les miennes. C’est trop de travail. Qu’est-ce que les personnes Noires handicapées peuvent construire, soutenir et consolider entre elles ? Nos communautés ? A quoi ressemblent les conversations entre des anarchistes Noires handicapées et des organisatrices électorales ?[6]C’est ce que j’aimerais vraiment entendre et ce avec quoi j’ai du mal (dans une certaine mesure, je ne crois pas personnellement à l’électoralisme), continuer à se rassembler pour créer … Continue reading ?

D’autres types de structures de prise de décision et de rassemblement émergent et existent déjà. Je pense que ces conversations peuvent être enrichissantes dans la mesure où elles ouvrent des opportunités d’identifier et de reconnaître l’autonomie qui existe d’ores et déjà au sein de certaines communautés. Les structures de pouvoir stigmatisent les personnes Noires parce qu’elles refusent de participer à un type particulier de prise de décision (le vote), et ce n’est pas normal.

L’institutionnalisation et la police ne sont pas des options et ne seront jamais des solutions. 

J’ai observé chez les organisatrices électorales Noires que ce déni d’autonomie et ces langages et comportements clairement paternalistes se reflètent dans l’organisation de stratégies dirigées vers les communautés de personnes Noires et migrantes. Je suis réellement curieux·se de voir quels types de stratégies et d’affinités nous pourrions créer si nos conversations étaient claires sur les questions d’autonomie pour les Noires et sur la façon de réunir des forces dans les communautés handicapées Noires, sans faire une fixette sur le langage autour des “droits” des personnes handicapées.

Nous ne pouvons pas continuer de penser notre libération par le prisme d’idéologies coloniales.

Les personnes handicapées non-Noires sont priées de lancer des discussions au sein de leurs communautés pour répondre aux problématiques de racisme contre les Noires et de validisme. De plus, il est nécessaire qu’elles engagent des conversations avec des personnes Noires handicapées si elles comptent se faire appeler “alliées” ou être réellement solidaires avec les personnes Noires handicapées (quand celles-ci donnent leur consentement, bien sûr).

Nous savons que le langage colonial ne décrira jamais précisément ce que nous ressentons, comment nous pensons et ce à quoi nous devons faire face dans un monde anti-Noir. Ce texte est une première étape pour commencer et continuer des conversations qui interrogent et analysent profondément le fait d’être Noire et handicapée, inspiré par le texte de Therí A. Pickens : “Black Madness::Mad Blackness”.

 

References

References
1 Terme inventé par Kassiane Asasumasu, provenant de “neurotypique” [voir Judy Singer, 1990] également défini par Merriam Webster comme “non affecté par un trouble du développement et en particulier les troubles du spectre de l’autisme : montrant les caractéristiques d’un développement neurologique typique”.
2 La blanchité n’est pas au centre de nos expériences [Noires]. Nous ne divergeons d’aucune “norme” ou “standard” des corps ou esprits in/valides blancs. Le fait d’être Noire et handicapée est réfléchi dans ces discussions comme un supplément ou une inclusion. Ceci n’est pas un terme de DEI (Diversité, Égalité et Inclusion) pour les études sur le handicap ou du lexique de la justice pour les personnes handicapées, mais un rejet de l’Altérisation.
3 Justice pour les personnes handicapées.
4 Littéralement : “corps-esprit”. Bodyminds Reimagined: (Dis)ability, Race, and Gender in Black Women’s Speculative Fiction by Sami Schalk, (pg. 6)”le terme bodymind aide à souligner la relation entre des expériences non-physiques d’oppression – le stress psychique – et le bien-être général”. Le bodymind est une approche cherchant à comprendre les relations entre le corps et l’esprit, en les considérant comme une seule unité intégrée (Wikipedia)
5 Formulé par Kassiane Asasumasu (voir note 1)
6 C’est ce que j’aimerais vraiment entendre et ce avec quoi j’ai du mal (dans une certaine mesure, je ne crois pas personnellement à l’électoralisme), continuer à se rassembler pour créer des communautés avec des personnes noires handicapées en dehors des groupes pour les “droits” des personnes handicapées. Bien en dehors de ceux-ci, voire hors de l’État. Explicitement abolitionniste. Je vous garantis qu’un certain nombre de personnes qui s’identifient comme abolitionnistes (de l’État, interprétation de la traductrice), mettraient des bâtons dans les roues des efforts autonomistes noirs 8 fois sur 10. Les alliées et camarades non-Noires en particulier doivent intégrer et analyser ce fait.