Il y a un élément de langage assez répandu chez tout un tas de gens cools et branchés et amateurs de relativisme toujours bien placé, lorsque ces gens font face à des handi-e-s psy dans mon genre : « non mais tu sais, c’est pas toi qui es malade, c’est la société ! » ; sous-entendu : selon un certain point de vue comme le dirait Obi-Wan, ça n’est pas tant certaines personnes qui sont handicapées mais plutôt toute la société qui l’est.
Bon-bon-bon. Je vois la belle intention derrière de consoler les âmes en peine dans mon genre… sauf que ce discours, non seulement ne me convainc pas, mais surtout, il génère en moi un profond malaise. Pourquoi ?
Faisons un test : imaginons qu’il faille en effet « soigner » l’ensemble de la société – ici prise comme une allégorie et non comme une
institution – pour remédier à la question du handicap psychique ; cela voudrait donc dire que dans cette configuration, un dépressif serait égal à tous les autres dépressifs du monde, idem pour un bipolaire et idem pour tout autre trouble psy plus ou moins approchant ; il faudrait alors renoncer à toute approche individuelle et spécifique et considérer le handicap psychique non pas comme un fait social mais comme une essence, un concept uniforme, monolithique, identique à lui-même en permanence.
Exit donc le vécu de tout un chacun, exit la notion même de trauma et exit à peu près tout ce qui fait de tout être humain un individu à part entière. Imaginer donc une société saine et guérie de tous ses maux revient alors à imaginer une société où tout le monde pourrait être heureux, où toute conflictualité serait abolie et où nous pourrions tous et toutes danser autour du feu de l’amitié en se remémorant non sans ironie cette lointaine et étrange époque où les êtres humains – on ne sait pourquoi – passaient le plus clair de leur temps à se foutre sur la gueule au lieu de s’aimer les uns les autres (« bordel de merde ! », comme dirait Didier Bourdon imitant Stallone).
Prêcher donc pour l’harmonie totale entre les individus, c’est toujours présupposer que la conflictualité humaine est un problème en soi et que l’on pourrait s’en débarrasser. Et je risque d’en décevoir certain-e-s en annonçant, non sans fracas, qu’aussi longtemps que le fait social demeurera, demeureront également tous les conflits imaginables du monde nous éloignant toujours plus de la paisible et douce coexistence que certain-e-s disent vouloir atteindre et préserver avec leurs semblables, sincèrement ou non.
Une fois cela dit, évidemment, je compte bien me confronter à la question du handicap psychique en elle-même ; en l’occurrence, oui, il y a bel et bien lieu de parler de handicap quand on fait le constat que des gens ont un train de vie parfaitement aligné avec les attentes du moule libéral et capitaliste, qu’ils s’en réjouissent et que d’autres essayent d’emprunter la même route en finissant laminés, épuisés et K.O ; on peut par ailleurs très bien considérer que les normies heureux et imbus d’eux-mêmes sont les « vrais malades » dans cette histoire ; ça ne changera rien au fait qu’aliénation avérée ou non, certain-e-s fatiguent plus dans notre société que d’autres. Et ça ne changera rien non plus au fait qu’à ce titre, ils et elles peuvent finir humilié-e-s, harcelé-e-s et marginalisé-e-s à cause de leur inadéquation avec les attentes du moule social.
Le problème n’est donc pas tant la réalité de l’existence ou non du handicap psychique mais plutôt la marginalisation qui en résulte au nom d’une différence, qu’elle soit apparente ou non. De la même façon qu’il existe des racisé-e-s et des personnes queer ne répondant pas à des normes sociales ne les incluant à aucun moment, les personnes handicapées font symptôme non pas d’une « société malade » mais plutôt d’une société profondément inégalitaire, inique et oppressive. Parler alors de « société malade », ça revient juste à nier le fait politique même que je m’échine et m’acharne à rappeler dans moult éditos plus ou moins pertinents : les intérêts des uns ne sont pas les intérêts des autres. Et j’ai bien peur que ça soit incurable, comme état de fait, n’en déplaise aux cools.
Texte écrit par Nox – alias @noksutan7 sur Instagram
—
Si vous aussi vous souhaitez publier un texte dans notre rubrique Libre expression, n’hésitez pas à nous contacter par mail !