eBillet d’Avril, membre active de notre collectif
La plupart du temps, si je me mets en colère parce qu’un établissement ou un évènement n’est pas accessible, les personnes qui m’accompagnent, amiEs ou famille, ne partagent pas mon agacement. Pire, elles me le reprochent parfois.
Il y a peu de temps, j’avais rendez-vous dans un restaurant que je ne connaissais pas avec deux potes. Cette fois, ce n’était pas moi qui avait fait la réservation. L’une d’entre elles était en retard. Puisqu’il faisait froid, nous avions décider d’entrer dans le restaurant pour l’attendre à l’intérieur. Sauf qu’il y avait deux petites marches. Pas très hautes mais suffisamment pour m’empêcher de passer en fauteuil. Je suggère donc à mon amie d’aller demander à un ou une employée à l’intérieur s’il y a une rampe disponible. Celle qui avait réserver a peut-être oublié ce détail ? Elle revient seule en me disant « c’est bon, elles arrivent ». Effectivement, deux jeunes femmes ouvrent la porte, mais je ne vois pas de rampe.
Elles proposent immédiatement de soulever mon fauteuil, il n’y a pas de problème, on va le porter… Sauf que le dit fauteuil pèse 200 kg, qu’essayer de le porter à deux est impossible et risque de le casser si on le tire par les accoudoirs. Et puis, sur ce fauteuil il y a … moi.
Qui dit que je veux être porter ? Parce que, en réalité, je trouve humiliant d’être soulevée comme un meuble dans un déménagement, je trouve vexant de parler uniquement du fauteuil sans évoquer mon corps qui est dessus, je trouve dégradante toute cette situation.
Ressource à ce sujet : Tuto pour construire une rampe et pourquoi porter un fauteuil n’est pas une solution
Alors, je me suis mise en colère. Sans violence ni insulte, j‘ai exprimé vivement mon énervement. J’ai rappelé qu’une loi de 2005 oblige l’accessibilité des établissements recevant du public, qu’on est en 2024, presque 20 ans plus tard, que je trouve anormal et injuste que les personnes en fauteuil n’aient pas la possibilité d’aller dans les mêmes lieux que tout le monde. Les employées me répondent que la mairie a donné une dérogation à tous les commerces de la rue et que les travaux seront importants et prennent du temps à s’organiser (elles ont évoqué une sonnette comme si c’était la priorité).
Devant ces piètres excuses, je m’énerve encore un peu, leur explique en quoi ces explications ne sont pas valables, puis la discussion s’arrête. Les deux jeunes femmes retournent à leur travail, je reste à la porte. Pendant tout ce temps, ma pote, à côté de moi, n’a rien dit. Comme je la sens crispée, je lui présente aussitôt mes excuses en expliquant que je n’arrive pas à garder mon calme face à ces injustices récurrentes.
« Franchement, tu n’avais pas à faire ça ! Elles étaient prêtes à porter ton fauteuil ! Tu n’avais aucune raison de t’énerver puisqu’il y avait cette solution. Tu embarrasses tout le monde quand tu fais ça ! ».
Moi qui pensait avoir une alliée, je me suis retrouvée accusée de méchancetés injustifiées, d’être une emmerdeuse en somme, de lui avoir fait honte surtout. Après m’être mise en colère, voilà que je pleurais en pleine rue. C’est à ce moment-là que notre autre pote est arrivée. Je lui ai raconté (toujours en pleurant) ce que la première venait de me dire alors que celle-ci allait prévenir les dames du restaurant qu’on annulait la réservation (comme si ce n’était pas évident). Elle ne m’a pas dit un mot, n’a pas eu un seul geste sympathique envers moi, n’a pas essayé de me consoler. Non j’étais seule… à pleurer dans la rue.
Ça ne pourrait être qu’une anecdote sans importance si ce genre d’évènement ne m’était jamais arrivé auparavant. Mais ce n’était pas la première fois.
Je ne peux calculer le nombre de fois où on m’a reprocher ma colère, on j’ai eu la sensation de faire honte à des personnes qui me sont proches, où je n’ai pas été soutenue. La lutte pour mes droits passe apparemment après la bienséance pour la plupart des gens.
Peut-être que cette sensation d’être empêchée par le validisme de la société est une sensation trop personnelle, qui ne parle pas du tout aux personnes valides et qu’elles ne peuvent donc pas entièrement s’approprier. Peut-être aussi qu’une femme qui se met en colère est encore perçue comme « hystérique » (calmez-vous madame, tout va bien se passer).
J’aimerais que les personnes valides soient encore plus indignées que moi quand elles sont témoins des injustices que je subis. J’aimerais tant qu’elles ne ressentent aucune honte mais de la fierté à me voir me révolter. J’aimerais que celleux qui se croient alliéEs le soient réellement. J’aimerais qu’iels s’appropprient nos luttes, non pas parce que peut-être qu’un jour elles auront aussi besoin de ces aménagements, mais parce qu’iels sont contre toutes les formes de discrimination et que le validisme en est une.
Alors, vous qui êtes valides, indignez-vous !
Ressource pour toutes les personnes qui organisent des événements ou gèrent des lieux : notre Guide pour accessibiliser un événement