Dessin d’une jeune personne en fauteuil tenant une pancarte avec écrit « Queer et handicapée », elle dit « j’existe ! » et en fond il y a le drapeau LGBTQIA+

C’est le mois des fiertés ! A cette occasion, Nadia Morand nous partage son témoignage de professionnelle au sujet de l’institutionnalisation, du validisme et des personnes handicapées et queers. Nadia est sexothérapeute, spécialisée dans la formation à la vie sexuelle et affective. 

Les personnes handicapées subissent le validisme. Les personnes queer, donc ayant une orientation sexuelle autre que l’hétérosexualité, ou bien ayant une expression de genre autre que cis et binaire subissent l’hétéropatriarcat et les LGBTphobies. Mais qu’en est il des personnes qui sont à la fois handicapées et queers ? Leur situation est bien spécifique, quelques enseignements : PPhotca

Les handiEs sont désexualiséEs et éloignéEs de la vie affective et sexuelle par principe (par validisme).

Je travaille à l’éducation au plaisir et à la vie affective et sexuelle, auprès de différents publics dont des personnes déficientes intellectuelles. Mon objectif concrètement est de faire ce travail en sortant des normes hétérosexuelles normatives. Je m’enjoins à traiter les personnes avec qui je travaille comme des adultes qui ont le droit à l’autodétermination pleine et entière. Ce sont deux partis pris très politiques, qui impactent chaque choix de mon travail.

Par exemple, j’écris un livre, et j’aimerais qu’on parle de très nombreuses formes de sexualité. Et on m’a répondu que cela « compliquait » tout, que cela allait produire beaucoup de questions de la part des lecteurices.

Finalement, mon travail d’éducation à la sexualité et la vie affective revient souvent à travailler avec les familles et les soignantEs pour que les droits des personnes handicapées soient respectés.

Prenons un exemple. J’ai travaillé avec un jeune homme de 26 ans qui vit chez ses parents. En sortant de la consultation avec ce jeune homme, sa mère me dit « vous lui direz bien qu’il ne peut pas se marier, je vois bien qu’il est amoureux de cette fille, mais il faudra lui dire que ce n’est pas pour lui ». J’ai dû rappeler la loi, le cadre qui dit que les tuteurices ne peuvent pas empêcher la personne de se marier.

Un autre exemple, dans la tutelle, il y a une gestion de l’argent divisée. Une partie gérée par le tuteur et un « reste à vivre » géré par la personne handicapée. Dans le reste à vivre, les personnes sous tutelle peuvent faire ce qu’elles veulent de cet argent. Mais quand elles vivent en institution, il s’avère qu’elles doivent rendre compte de tous leurs achats à leur tuteurice. Les conséquences sont logiques : de nombreuses personnes me disent qu’elles n’osent pas acheter ce qui leur fait plaisir, comme des revues pornographiques, par crainte du contrôle des tuteurices. C’est très important de comprendre qu’être tuteurice ne signifie pas avoir le droit de contrôle moral sur les personnes sous tutelle.

Vivre en institution : De nombreuses personnes handicapées vivent en institution en France. Ce sont des établissements médico-sociaux qui accueillent les adultes et les enfants. Par exemple les MAS (maison d’accueil spécialisée), ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique), les IME (institut médico-éducatif)… Les mouvements anti-validistes pour la vie autonome et l’ONU dénoncent les privation de liberté et le validisme de ces lieux. 

Je propose également des ateliers de tantra ou des personnes handies se massent les unes les autres. Souvent la plus grosse difficulté à lever se trouve à l’endroit des aidantEs. Je passe beaucoup de temps à expliquer aux bénévoles de ce genre de séjour que « non, vous n’allez pas masser des personnes handicapées, mais vous aller les aider à se masser entre elles, comme des adultes ».

Finalement, les implicites qui dirigent les décisions dans ces espaces, sont l’idée que les personnes handicapées ne sont pas désirables, pas désirantes, que leur sexualité doit être inhibée. A la limite, une vie de couple normée hétéro serait acceptable, mais sans parentalité, et alors surtout pas une vie queer, ou une vie sexuelle épanouie.

L’institutionnalisation favorise la reproduction de la norme cis-hétéro-normative

Il y a beaucoup de choses qui me travaillent dans mon travail de sexologue. J’inclus dans chaque intervention un topo sur la désinstitutionnalisation.

La désinstitutionnalisation est un processus politique et social qui permet de passer d’une vie en institution et au sein d’autres environnements isolants et ségrégants à une vie autonome. La désinstitutionnalisation est effective lorsqu’une personne placée en institution a la possibilité de devenir une citoyenne à part entière et de prendre sa vie en main (si nécessaire, avec du soutien).

J’ai été souvent retoquée sur mes contenus qui étaient accusés de wokisme dans mes formations sur la sexualité et la vie affective. Parce que je ne reproduisais pas la norme hétérosexuelle. Pour « leur bien » on m’a souvent dit qu’il valait mieux que les personnes handicapées n’explorent pas leur expression de genre, qu’elles étaient déjà assez « bizarre ainsi ». En ce sens, au service de qui est la volonté de bien faire ?

J’observe une tendance à la psychiatrisation des queerness des personnes handicapées. 

Les queerness désignent l’ensemble des expression de genre et des orientations sexuelles qui diffèrent de la norme hétérosexuelle, cisgenre. On dit cisgenre lorsque le genre ressenti d’une personne correspond au genre assigné à sa naissance, par opposition à transgenre. 

Par exemple, on me fait intervenir dans un établissement parce qu’une personne associe son urine à sa sexualité. Mais c’est le cas de beaucoup de monde. Beaucoup de députéEs par exemple ! Sous prétexte qu’elle est institutionnalisée, les soignantEs autour ont un regard sur l’intimité de la personne handicapée et leurs regards normatifs hétéros cis s’appliquent.

L’acceptation de queerness est parfois motivée par des souhaits de contrôle de la parentalité.

J’observe aussi de nombreuses familles dans lesquelles la queerness de leur enfant apporte une réassurance aux parents qui se disent « ouf, mon enfant n’aura pas d’enfant ». Donc la queerness est acceptée pour une raison de contrôle à nouveau. Parce que la peur de la parentalité des personnes handies est une peur normalisée et légitimée, voire même qui peut passer pour une forme de soin pour la personne handie et toujours infantilisée.

Exprimer sa queerness lorsqu’on n’a pas de vie autonome est largement entravé. Par exemple, j’ai rencontré des personnes handicapées, qui vivaient leur queerness comme « l’affront de trop » à faire à leurs parents, et étouffaient leur identité. Le validisme empêche l’expérience de la queerness.

Je repense à une jeune femme cis et lesbienne, qui est sous curatelle, ses parents contrôlent tout de sa vie. Ils la déplacent, ils l’emmènent, quand elle a besoin de soin, ce sont eux qui font les soins, etc… Il lui était impossible d’exprimer son souhait de vivre une expérience romantique et sexuelle lesbienne à ses parents. Sa vie sous microscope implique de tout faire valider à ses parents. Y compris sa sexualité. Son seul espace d’expérience de vie intime est son portable.

La curatelle est une mesure judiciaire qui désigne des curateurices en charge de conseiller et d’accompagner une personne majeur. Elle est présentée sur le site www.service-public.fr comme un moyen de protéger un majeur et son patrimoine lorsqu’il est en difficulté (altération de ses capacités physiques et corporelles) et qu’il a besoin d’aide. Il existe plusieurs degrés de curatelle (simple, renforcée, aménagée). La mise en curatelle permet d’être conseillé et/ou d’être accompagné pour les actes importants (comportant un engagement comme un emprunt, une vente de bien immobilier). Légalement, la personne reste autonome pour accomplir des actes simples (achat de la vie quotidienne, choix de se marier…), mais dans la pratique, les contours de la fonction de curateur sont variables et parfois bien au-delà du cadre légal.

Se battre pour la vie autonome, c’est aussi se battre pour libérer les personnes de la norme écrasante LGBTphobe. 

Considérons que la queerness, c’est la prise de liberté, l’exploration des marges autour d’un modèle de sexualité et de vie affective normalisé.

Les personnes handies sont encore plus empêchées d’explorer. Par loyauté aux parents dont elles dépendent et par excès de regard infantilisant porté sur eux.

Pourtant la vie avec handicap peut être totalement compatible avec l’exploration des formes de relations, de sensualité, de désir. Et tellement merveilleuse si l’on a l’espace de ces explorations vers l’épanouissement.

J’ai accompagné en ce sens des patientEs dans le cadre d’Education Thérapeutique des Patient.e.s pour le Syndrome d’Elher Danlos. Iels témoignent que leurs explorations sexuelles leur permettent de retrouver du plaisir et racontent la liberté qu’iels ont prise depuis le diagnostic.

Il y a une grande proximité entre les mouvements queers et les mouvements handis pour la vie autonome et libre. Nos corps sont perçus comme déviants et doivent être contrôlés. Les luttes pour la désinstitutionnalisation participent aux luttes pour l’expression des genres et des orientations sexuelles. Les queers et les personnes handies en lutte ont beaucoup à se raconter et à construire ensemble pour leur libération.

(*) A propos des institutions : 

Il existe de nombreuses définitions d’une institution, mais toutes ne couvrent pas l’ensemble des environnements de soins institutionnels. La définition d’une institution dans le General Comment (paragraphe 16c), sur la vie autonome et l’inclusion dans la communauté, devrait donc être utilisée pour déterminer ce qu’est une institution :

« Bien que les structures institutionnelles puissent différer par leur taille, leur nom et leur organisation, certains éléments les identifiant, tels que le partage obligatoire de personnel accompagnant avec d’autres personnes et l’absence ou la limitation du choix de la personne dont on doit accepter l’assistance ; l’isolement et la ségrégation par rapport à la vie autonome au sein de la communauté ; l’absence de contrôle sur les décisions quotidiennes ; l’absence de choix des personnes avec qui l’on souhaite vivre ; la rigidité de la routine indépendamment de la volonté et des préférences personnelles ; des activités identiques au même endroit pour un groupe de personnes sous une certaine autorité ; une approche paternaliste de la prestation de services ; la supervision des conditions de vie ; et généralement aussi une disproportion dans le nombre de personnes handicapées vivant dans un même environnement. Le cadre institutionnel peut offrir aux personnes handicapées un certain degré de choix et de contrôle ; toutefois, ces choix sont limités à des domaines spécifiques de la vie et ne modifient pas le caractère ségrégatif des institutions. […] »

En ce qui concerne les enfants, une institution constitue tout lieu hors du foyer familial. Selon le General Comment 5, « les foyers, petits ou grands, sont particulièrement dangereux pour les enfants, pour lesquels rien ne peut remplacer le besoin de grandir au sein d’une famille ». Il ajoute que « les institutions de type familial restent des institutions et ne peuvent se substituer aux soins et à l’attention d’une famille ».

Ceci est un extrait de l’article La désinstitutionnalisation, c’est quoi ? sur le site internet lesdevalideuses.org