Billet de Laetitia Rebord, membre active de notre collectif, extrait de son blog wheelinked.com
Le téléthon commence aujourd’hui pour sa 37ème édition. Dans les formations que je dispense pour mon travail de pair–aidante en santé sexuelle et pendant lesquelles je parle toujours de validisme, je n’hésite pas à affirmer que ce spectacle misérabiliste ne fait que renforcer cette oppression. Alors, aujourd’hui, j’ai décidé de m’exprimer sur l’expérience que j’en ai, afin de la relier à la lutte actuelle de nombreux collectifs de personnes handicapées pour que cette mascarade validiste cesse définitivement.
Je suis née avec une maladie neuromusculaire, l’amyotrophie spinale. Depuis ma plus tendre enfance, chaque premier week-end de décembre, j’avais l’impression que tout le monde s’intéressait à moi, que l’on parlait de ce que je connaissais dans mon quotidien à la télévision. Mes parents, encore portés par l’espoir que je guérirai, m’emmenaient aux manifestations locales par tradition et sans le savoir, je devenais à mon tour la pauvre mascotte malade, affichée aux yeux de tout le monde pour faire pleurer et pleuvoir l’argent.
Année après année, ma mère larmoyait devant les reportages toujours tristes, aucun ne montrait un enfant heureux. Tout était toujours tourné de manière à insister sur la difficulté, la tragédie de vie.
Un jour, à mon adolescence, l’un des chirurgiens qui m’a opéré pour la célèbre arthrodèse dont tous les enfants atteints du même type de maladie n’échappent pas, m’a dit que de toute façon, mon corps était tellement abîmé, que même si on trouvait un remède miracle pour me guérir, il ne pourrait jamais fonctionner normalement. Mes os, mes muscles, sont tellement fragilisés par l’immobilité, qu’ils ne supporteraient pas la dynamique d’un corps sain. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que, tout ce que je voulais maintenant, c’était vivre le mieux possible avec les limites et les incapacités que m’imposait cette maladie.
Les années passaient, mes parents ayant aussi assimilé progressivement la réalité, ma participation au téléthon devenait plus rare mais nous continuions à regarder en sachant que les fameux discours de guérison ne seraient que pour les générations futures.
Je sentais de plus en plus un malaise à chaque fois que je regardais cette émission. Sans être encore consciente que je faisais l’expérience du validisme, mon inconscient savait que quelque chose ne me convenait pas !
Au début de mes années universitaires, ayant des problèmes d’accompagnement à la fac et d’hébergement avec l’assistance humaine nécessaire, l’AFM ayant eu vent des problèmes que ma famille et moi rencontrions, nous a proposé de tourner un reportage pour le téléthon dans l’espoir, disaient-ils pour nous convaincre, qu’une solution serait trouvée.
Nous avons donc accepté et accueilli pendant plusieurs jours des journalistes qui nous ont suivi un peu partout, répétant les prises encore et encore. Nous étions aussi invités sur le plateau et nous avons à ce moment-là discuter avec Philippe Geluck qui devait présenter le documentaire. Après quelques échanges avec lui, où il avait senti que nous n’étions pas au bord du suicide, il nous a très sincèrement annoncé que ce n’était pas du tout ce qui était démontré dans le reportage qu’il avait vu. Ce dernier est passé en pleine nuit, évidemment, à 20 ans on ne fait plus autant pleurer que lorsque l’on est enfant. C’est donc la nuit, au moment où les gens donnent le moins, que notre reportage allait passer. En effet, c’était un documentaire, très court par rapport aux heures que nous y avons consacrées, qui retraçait une histoire extrêmement noire, sans aucun espoir. J’ai vu le reportage sur le plateau. Comme l’interview en direct arrivait juste après, je n’ai pas vraiment eu le temps d’exprimer mon mécontentement sur le moment. En plus, Sophie Davant ne faisait que nous faire de grands signes à chaque fois que nous essayons de politiser notre discours pour montrer qu’il était inacceptable que l’État ne prévoit aucun accompagnement humain pour les personnes en situation de handicap dans l’enseignement supérieur. Peu de personnes le savent, mais évidemment on ne va pas instruire davantage les personnes handicapées, car elles pourraient comprendre le système dans lequel elles vivent et vouloir par la suite se rebeller. Elles peuvent déjà être bien contentes d’être allées jusqu’au bac… Ce n’était pas le problème des animateurices du téléthon, iels ne sont là que pour orienter les gens à dire devant les caméras que c’est difficile, que cette vie ne vaut d’être vécue.
Cet événement a été la cerise sur le gâteau qui m’a personnellement définitivement fait comprendre que je ne supportais plus que mes pairEs soient affichéEs en pâture pour ramasser de l’argent. C’était la dernière fois que je participais au téléthon et que je lui donnais une quelconque importance.
La recherche médicale doit exister, mais c’est à l’État de la financer, pour que les prochaines générations de concitoyenNEs malades puissent connaître certains traitements afin de souffrir moins. Il n’y a aucun souci d’argent quand il s’agit de financer la recherche de technologies d’armement qui serviront à massacrer d’autres populations…
Je ne supporte plus non plus d’entendre tous ces gens se féliciter de donner au téléthon alors qu’iels continuent d’être discriminantEs tous les jours envers les personnes handicapées. Je vis dans une résidence senior car c’est le seul logement privé adapté que j’ai trouvé et je suis entourée de personnes âgées qui préféreraient me voir dans des établissements plutôt qu’au milieu des leurs, il n’y a qu’à voir l’affaire dont j’ai traité dans un dernier billet, et qui donnent fièrement au téléthon en pensant avoir fait leur bonne action.
Mes amiEs militantEs américainEs et anglaisES, se sont battuEs depuis longtemps pour stopper cette émission qui ne fait qu’entretenir le validisme ambiant. Toutes ces représentations du handicap du point de vue médical, qu’il faut forcément réparer, où tous les corps malades ou handicapés sont considérés comme inférieurs, sans aucune valeur, ne font que creuser l’écart de considération de nos vies par rapport à celle des corps jugés sains.
Moi qui travaille maintenant pour promouvoir la santé sexuelle de mes pairEs, est-ce qu’une fois il y a eu un reportage pour parler de la sexualité des personnes vivant avec ces maladies ? Bien trop peu, à des heures qui ne faisaient pas beaucoup d’audience, et toujours d’un point de vue de la difficulté, des problèmes que cela représente.
Qu’est-ce que ce genre de représentation misérabiliste du handicap entraîne concrètement ?
Cela crée des générations de personnes qui continueront à dire bon courage à mon mari à chaque fois qu’il déclare vivre avec une personne tétraplégique. Tout le monde verra en moi une vie de tragédie, sans jamais me demander ce que je fais d’autres dans la vie que d’attendre la mort ! Cela fera prononcer des phrases terribles comme celle que j’ai toujours entendue de la part de mon grand-père qui affirmait haut et fort qu’à ma place, il se tirerait une balle !
Je ne peux plus continuer à me taire et accepter de voir chaque année ces 30 heures qui renforcent minute après minute le validisme de notre société. Ce validisme qui continue d’infliger des discriminations horribles à toute personne handicapée simplement parce que les individus qui les perpétuent, inconsciemment ou consciemment, ne se considèrent pas comme étant leur égalE.
Lisez dès maintenant tous les textes que le collectif Les Dévalideuses dont je fais partie a écrit, traduit ou relayé et partagez cette parole. Soyez conscientEs des privilèges que vous avez en tant que personne valide, dénoncez l’ensemble des discriminations qui se perpétuent autour de vous, ne basculez surtout pas dans l’handi-washing qui n’a aucun autre effet que de se donner bonne conscience, fuyez la pornographie de l’inspiration qui n’est là que pour rassurer les bien portantEs, suivez les réseaux des collectifs de luttes anti-validistes, faites tout cela au lieu de donner au téléthon ! Ce sera bien plus efficace pour les personnes directement concernées.