Dans le cadre de la sortie du documentaire Crip camp, a disability revolution sur Netflix, nous vous proposons une petite revue sur le sujet. Ce film, produit par le couple Obama, aborde la naissance du mouvement pour les droits civiques des personnes handicapées aux États-Unis dans les années 70.
Il s’appuie notamment sur des images d’archives du camp de Jened, où tout a commencé, ainsi que sur des interviews de leadeurEs du mouvement telle Judith Heumann, que nous avons eu le plaisir de rencontrer pour discuter du documentaire, mais également de la culture Crip, de la non mixité, ou encore de la pandémie actuelle.
Jened, là où tout a commencé
Les livres d’histoires se plaisent à raconter les débuts des révolutions, à les romancer, à montrer comment une étincelle a permis à un incendie de liberté de se propager. Mais, ils ne disent pas encore que pour les personnes handicapées, cette étincelle est née au début des années 70, dans une colonie de vacances réservée aux adolescentEs et adultes handicapéEs tenue par des hippies, le camp Jened. Le camp Jened n’était pas une colonie de vacances ordinaire, mais une expérience humaine, un laboratoire pour la vie autonome. En effet, au camp Jened, de nombreuSESx jeunes handicapéEs expérimentent enfin la liberté et l’égalité dont la société les prive au quotidien. Au camp Jened, en dépit de leurs différences sociales et de la diversité de leurs handicaps, ces jeunes handicapéEs se rencontrent et se découvrent réuniEs par tout ce que la société validiste leur refuse.
Construire l’émancipation
Ces militantEs apprennent ensemble qu’une vie dont on ne leur avait jamais parlée est possible. Une vie de liberté, de choix assumés, de paroles entendues, une vie où on ne leur refuse pas la dignité, le rire, le sexe et l’égalité. Grâce à de nombreuses images d’archives, nous voyons des amitiés indéfectibles se former et des revendications du mouvement de libération des personnes handicapées prendre racine au rythme des débats collectifs et des jeux d’eau. Nous pouvons aussi voir lors d’interviews les réactions de plusieurs campeurEs, devenuEs des vétéranEs de la lutte pour la libération des personnes handicapées, une cinquantaine d’années plus tard, pleinement conscients et conscientes de ce que ce camp leur a apporté, jusqu’à un final sous forme de pèlerinage là où tout a commencé.
Pour les droits civiques, au cœur de la société
En effet, le documentaire ne nous montre pas seulement le quotidien loufoque et révolutionnaire de ces adolescentEs. Il s’intéresse surtout à ce qu’ont fait ensemble touTEs les campeurEs. Iels connaissent désormais l’importance de se réunir entre handicapéEs pour faire avancer les choses et ne perdront jamais cet objectif de vue. Ainsi, ce sont ces jeunes devenuEs adultes qui des années plus tard bloquèrent les rues de New York en constituant des chaînes humaines de personnes en fauteuil, ou n’hésitèrent pas à occuper pendant des jours des bâtiments afin de réclamer la mise en place d’une loi consacrée enfin aux droits civiques des personnes handicapées, d’abord la loi 504, puis l’ADA en 1980. Ainsi, ce documentaire est une véritable leçon d’histoire sur la lutte pour les droits civiques des personnes handicapées, qui a notamment le mérite de montrer l’importance de l’intersectionnalité, visible par exemple avec l’aide apportée par les Blacks Panthers lors du sit-in de 1977 pour la loi 504. Il a aussi le mérite de raconter avec délicatesse les parcours de vie des figures de proue du mouvement pour la libération des personnes handicapées, ce qui nous permet d’en savoir plus sur des leadeurEs du mouvement comme Judy Heumann [voir interview].
Un héritage
Le documentaire ne manque pas non plus d’évoquer d’autres thèmes importants dans la lutte pour les droits des personnes handicapées, comme l’institutionnalisation ou le refus de voir les personnes handicapées comme pouvant avoir une vie sexuelle. Le film parvient ainsi à nous transmettre les nombreux enjeux de la lutte menée par les personnes handicapées pour créer une société plus égalitaire, toute la rage de vaincre qui animait tous ces militantEs. Il est surtout un rappel essentiel que les personnes handicapées d’aujourd’hui sont les héritières d’un combat mené par et pour les handicapéEs, mais aussi qu’il s’agit bel et bien d’une lutte de tous les instants qu’il ne faut jamais perdre de vue.