Les Dévalideuses co-signent la lettre ouverte du CUSE, Collectif pour Une Seule École avec HandiSocial et le CLHEE, contre l’offensive validiste de l’appel de l’intersyndicale de l’Éducation Nationale.

Voici le texte de cette lettre ouverte écrite par Elena Chamorro et publiée sur le Club de Mediapart le 23 décembre 2023, également disponible à ce lien.

 

Les syndicats des personnels de l’Éducation Nationale sont-ils validistes ?

L’intersyndicale (FSU, FO, CGT, SUD) appelle à une grève unitaire le 1er février prochain pour la défense des salaires des personnels, de leurs postes, pour alerter sur leurs conditions de travail et, plus généralement, sur la situation de danger dans laquelle se trouve le secteur. Nous ne pouvons que soutenir un tel appel.

Cependant, dans l’appel, un paragraphe est spécifiquement consacré à la question de l’inclusion des élèves handicapéEs :

  • Y est dressé le constat d’un manque de moyens alloués à l’école pour l’accueil de ces élèves qui met enseignants et AESH dans des conditions de souffrance au travail (et, cela n’est pas évoqué, il met aussi les élèves handicapéEs en situation d’inégalité de chances et donc de discrimination).
  • En outre, est évoqué le fait que les mesures prises dans le cadre de l’acte 2 de l’école inclusive vont contribuer à l’aggravation de la situation et l’intersyndicale demande à juste titre leur abandon.
  • Enfin, est demandé le maintien et la création de places en établissements médico-sociaux.

Pour rappel, l’observation générale n°5 du Comité des droits des personnes handicapées des Nations-Unies sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société du 27 octobre 2017 explicite dans son grand II, A, point 16, c) :

« L’autonomie de vie et l’inclusion dans la société supposent un cadre excluant toute forme d’institutionnalisation ».

Cette observation vient clarifier l’article 19 de la Convention Internationale des Droits des personnes handicapées relatif à l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société.

Ce même article 19 indique en outre que :

« Les autorités publiques, les professionnels et les fonctionnaires ne sont guère conscients des effets négatifs du placement en institution sur les personnes handicapées, et il n’existe pas de stratégie ou de plan d’action visant à mettre fin à cette pratique ».

Puis, l’article 24 de la Convention relatif à l’éducation, dans son point 2, demande aux États ayant ratifié la Convention (c’est le cas de la France) de veiller à ce que :

« a) les enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ou de l’enseignement secondaire ;

b) Les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire. »

Dans son rapport sur la France publié le 14 septembre 2021, le comité des droits des personnes handicapées de l’ONU observait avec préoccupation dans son article 7 point 15 :

« a) Que les enfants handicapés sont exposés à des formes multiples et croisées de discrimination, notamment dans l’éducation, l’accès aux services sociaux dans la communauté, l’institutionnalisation dans des établissements médico-sociaux, les mauvais traitements, la violence et les abus, y compris la violence sexuelle, en particulier dans les institutions. »

Il demandait de ce fait à la France de :

 «Établir un calendrier et des repères pour parvenir à une pleine accessibilité des personnes handicapées aux services communautaires traditionnels, tels que l’éducation, la santé, le travail et l’emploi ».

Par conséquent, la revendication de l’intersyndicale consistant à maintenir et créer plus de places en établissement spécialisé va à l’encontre des droits des enfants handicapéEs et contrevient aux accords signés par la France en termes de droit international. Elle s’inscrit de plus dans le modèle médical du handicap, qui considère les personnes handicapées essentiellement comme objets de soins et non comme des sujets de droits.  Aussi, l’ONU a demandé à la France d’abandonner ce modèle au bénéfice d’une approche en termes de droits humains.

Par ailleurs, dans un appel à la grève le 25 janvier, précédant celui de l’intersyndicale, FO dénonce l’inclusion “systématique” des élèves handicapéEs. Elle tient celle-ci pour responsable de la situation de souffrance des personnels et des élèves. Or, cette inclusion « systématique » n’a jamais existé (si tel était le cas, plus aucun enfant ne serait à l’heure actuelle envoyé en institution). De plus, si le manque de moyens est décrié de façon consensuelle, on peut alors penser, en toute logique, que la raison du mal-être des uns et des autres à l’école est précisément ce manque de moyens et que ce sont donc des moyens à hauteur des besoins qu’il faut réclamer.

Le CUSE et les organisations anti-validistes ne sont  pas surpris.E.s des positions de FO puisqu’elles ne sont pas nouvelles. Déjà en 2015, le CLHEE avait dénoncé la volonté affichée de FO d’exclure purement et simplement des élèves de l’école ordinaire en raison de leur handicap. Cette position a été défendue par Éric Zemmour durant la dernière campagne électorale présidentielle, déclenchant un tollé et une condamnation presque généralisée.

Il est ainsi d’autant plus étonnant, sinon honteux, que des syndicats comme la CGT et SUD se rallient, dans une déclaration intersyndicale datée du 20 décembre, à des positions non seulement contraires aux droits humains mais de surcroit portées par l’extrême droite.

En plus d’être honteuse, la position de SUD et de la CGT est incohérente compte tenu non seulement des valeurs qui sont les leurs mais aussi de leurs déclarations dans certains des documents qu’ils ont produits au sujet de l’inclusion et de l’oppression validiste. Pour n’en citer que quelques exemples, dans un communiqué récent SUD déclarait :

« Pour SUD éducation, il y a urgence à convaincre que tous les élèves ont leur place à l’école et que c’est bien à l’école qu’il revient de garantir des compensations du handicap afin d’en finir avec le validisme et la ségrégation scolaire et sociale.

SUD éducation appelle tous les personnels à se mobiliser pour gagner les moyens d’accueillir tous les élèves à l’école qu’importe leur handicap, leur origine ou leurs difficultés scolaires ».

La CGT, quant à elle, défend dans ses repères revendicatifs concernant l’éducation et la formation professionnelle:

« Un véritable service public de l’éducation.

Sa dimension nationale, sa proximité locale et son unité doivent être renforcées. Il doit garantir :

  • l’égalité d’accès pour chaque jeune, fille et garçon, et la prise en compte des spécificités (origine sociale, ethnique ou territoriale), des déficits fonctionnels (origine physique ou mentale), de manière à ce qu’ils ne constituent pas des handicaps. »

Au vu de ces discours contradictoires, il semble urgent que SUD et la CGT prennent une position claire sur la question de l’inclusion :

  • soit ils participent à faire perdurer en France le modèle médical du handicap, passéiste et validiste, promu de facto par le gouvernement, les associations gestionnaires- qui sont aussi des organisations patronales- et par l’extrême droite, en réclamant que se poursuive la ségrégation d’enfants en raison de leur handicap,
  • soit ils se placent du côté des luttes d’émancipation, du modèle social du handicap et du modèle des droits de l’homme en s’inspirant de paradigmes éducatifs déjà mis en place dans d’autres pays et en réclamant, entre autres, le transfert des moyens du spécialisé vers l’ordinaire, la formation des enseignantEs et personnels de l’école ordinaire et des moyens humains et financiers à hauteur des besoins pour une école égalitaire.

La lutte contre les oppressions ne peut plus écarter la lutte contre le validisme 

Elena Chamorro pour le CLHEE, le CUSE, Handi-social, Les Dévalideues.

 

Photo d'une manifestation. De nombreuses banderoles multicolores volent dans les airs. On peut voir écrit Solidaire, ainsi que Sud et d'autres noms ne sont pas lisibles. Au premier plan, une rangée de personnes dans une manifestation tient une banderole multicolore horizontalement.