Notre manifeste
Face à l’inacceptable invisibilisation des femmes handicapées dans le féminisme, en particulier sur la question des violences sexistes et sexuelles, que nous subissons pourtant de plein fouet, nous nous sommes rassemblées.
Depuis ce thème, les échanges ont jailli, bouillonnants, et le besoin de nous organiser fut évident.
Nous avions tant à faire, dans tant de domaines, nous allions dévalider la société.
Aujourd’hui nous sommes là, et portons la parole des femmes handicapées.
Forte, fière, nécessaire.
Nos 3 piliers
Anti-validisme
Le handicap est un ensemble polymorphe, au croisement d’une expérience individuelle interne et d’un environnement inadapté.
S’il a longtemps été considéré sous le seul prisme du modèle médical, les luttes actuelles s’intéressent davantage à dénouer le phénomène social qui nous entrave au moins autant que nos conditions personnelles : le validisme.
VALIDISME, nm : Système d’oppression subi par les personnes handicapées du fait de leur non correspondance aux normes médicales établissant la validité. Un ensemble de capacités seraient attendues d’un corps pour qu’il soit considéré comme humain. L’idéologie validiste postule que les corps non correspondant, jugés handicapés, ont alors moins de valeur. Ils sont naturellement considérés comme inférieurs, et donc discriminables.
Le validisme imprègne l’ensemble de la société sur le plan juridique, médical, culturel, éthique, économique… Il peut se manifester par un rejet franc (insultes, maltraitances, silenciation, stigmatisation, refus d’inclusion…) mais se cache aussi souvent sous des allures de « validisme bienveillant » (infantilisation, pitié, aide non-sollicitée…).
Psychophobie, audisme, grossophobie, ou encore infantilisation des personnes âgées sont des formes particulières de validisme.
Féminisme
Faut-il encore justifier pourquoi être féministe est nécessaire en 2021 ? Gagnons du temps : non. Mais nous affirmons qu’il est essentiel de croiser ces deux luttes.
Les femmes, comme les personnes handicapées sont considérées comme des groupes naturellement inférieurs (aux hommes / aux valides), et luttent pour l’égalité et l’émancipation. Les unes comme les autres sont maintenues sous le joug d’un pouvoir autoproclamé, dont l’un des principaux leviers est le contrôle des corps.
De plus, les femmes handicapées font l’objet au plus haut degré des formes de domination qui s’exercent sur toutes les femmes : infériorisation et infantilisation ; contrôle du corps et des comportements ; discriminations sexistes ; privation d’accès à des droits égaux à ceux d’autres groupes (les hommes et les valides) ; violences sexistes, y compris sexuelles, qu’elles soient privées (familiales, conjugales), institutionnelles, médicales, ou économiques.
Reconnaissant le travail passé et présent de nos sœurs féministes, nous refusons toutefois de nous inscrire dans un courant classique, tant aucun n’a pris le soin de penser nos situations de femmes handicapées. Nous nous déclarons donc handi-féministes.
Croisement des luttes
Par notre position handi-féministe, nous connaissons l’importance particulière du croisement de plusieurs oppressions, qui ne se superposent pas simplement, mais relèvent de mécanismes complexes et uniques. Les personnes situées à ces intersections sont à la fois parmi les plus vulnérabilisées et les moins nombreuses, et nous considérons qu’il est du devoir commun de les visibiliser et soutenir davantage.
Si notre travail concerne en premier lieu le genre et le handicap, nous sommes aussi intimement proches des luttes contre le racisme, la transphobie, l’homophobie, la putophobie, et plus généralement contre toutes les discriminations liées au genre, à la sexualité, à l’origine ethnique, la religion, ou au milieu social.
Des mécanismes transversaux participent de chaque oppression, et les théories préalablement établies, nous nourrissent autant que nous les nourrissons, venant y ajouter la pierre de nos expériences.
Notre militantisme intègre donc évidemment une composante intersectionnelle, lorsque nous croisons le handicap ou le féminisme avec la race, mais nous considérons que cela ne suffit pas à nous revendiquer « collectif intersectionnel », puisque notre travail est initialement centré sur une autre intersection. Ce n’est pas jouer sur les mots, ni s’éloigner des luttes antiracistes, c’est au contraire faire preuve de respect pour ce concept afrofeministe, qui doit continuer à désigner les intersections avec la race. Nous ne souhaitons pas participer à une blanchisation du concept d’intersectionnalité qui le viderait de sa substance. De la même façon que le mot « inclusif », « intersectionnel » est devenu dans le milieu féministe une étiquette disant « ici on accueille tout le monde », mais sans remise en question profonde de ses pratiques et de ses théories pour une réelle intégration de ces questions.
Qui sommes-nous ?
Non-mixtes
Handi-féministes, nous soutenons le combat de toutes les femmes, et de toutes les personnes handicapées.
Mais nous savons que pour garantir notre visibilité, afin de ne pas voir notre parole monopolisée par les personnes les plus privilégiées, pour ne pas voir nos buts se disperser et perdre notre pouvoir d’action, nous devons resserrer les rangs. C’est pourquoi nous appliquons une double non-mixité choisie, et n’acceptons parmi nos membres actives ni personne valide, ni homme cis.
Contre la domination du masculin, omniprésent dans la langue française comme dans la société, nous décidons de parler collectivement des Dévalideuses au féminin, et de les désigner comme femmes.
Ce choix linguistique est réfléchi, mais ne traduit en rien une moindre considération pour toute personne victime du patriarcat, que nous accueillons pleinement, et genrons bien évidemment, individuellement, selon sa volonté.
Nous nous efforçons également d’utiliser l’écriture inclusive en privilégiant ses formes les plus accessibles à toutes et tous.
Diverses
Nous tentons de constituer nous-mêmes un groupe suffisamment divers (en matière de types de handicap, mais aussi de situations personnelles, d’intersections avec d’autres oppressions) afin de donner toujours la parole aux personnes concernées, pour agir collectivement comme amplificateur. Notre organisation interne se veut la plus horizontale possible et toutes nos décisions sont prises de façon collégiale.
Si l’importance des luttes ne peut être hiérarchisée, nous croyons qu’il existe un réel devoir de mettre davantage en lumière les situations recevant habituellement un moindre soutien.
Nous ne ne voulons pas d’un féminisme qui néglige de regarder ses propres privilèges, comme le féminisme blanc, bourgeois, et les populations les plus discriminées auront toujours notre priorité.
Humbles
Nous ne sommes pas les premières à travailler sur ces sujets. Nous espérons apporter de nouvelles pierres à l’édifice, tout en apprenant pas à pas de nos aînées, ainsi que d’autres luttes. Nous tentons d’apporter un éclairage nouveau, au même titre que chacun.e en est capable, et nous réjouissons vivement à l’idée que d’autres prendront aussi ce chemin, aujourd’hui et demain, allant toujours plus loin.
Nous sommes portées par notre envie d’apprendre et de nous remettre en question, autant que de remettre en cause le monde. L’effervescence collective est notre moteur.
Fatiguées
Le handicap mobilise individuellement une grande partie de notre énergie, et nous apprend (parfois difficilement), à reconnaître nos limites. Nous veillons ensemble à nous écouter, et acceptons d’aller à notre rythme.
Malgré l’envie et la rage, nous nous arrêterons chaque fois que nécessaire. Notre activité connaîtra hauts et bas, nous refuserons sûrement de nombreuses sollicitations pourtant enthousiasmantes, mettrons parfois longtemps à répondre à vos messages. Lutter contre le validisme, c’est aussi accepter cela.
De plus, nos différents handicaps dans une société inaccessible entravent considérablement nos capacités d’actions de terrain. Cela ne nous rend pas moins puissantes.
Nous serons évidemment sur le terrain chaque fois que nous le pourrons, mais nous croyons aussi à la force d’une militance organisée, à distance, virtuelle, et n’en rougissons pas. Le concours de nos alliés, sur le terrain, sera donc essentiel.
(Note à tous nos adelphes militants, avec ou sans handicap : vous non plus ne devez rien à personne, ne vous oubliez pas.)
Mordantes
Notre ton est souvent badin, nous abusons des gifs animés et clins d’œil ironiques. Parce que nous pensons que des messages sérieux pourront tout aussi bien passer ainsi, mais aussi parce que ces bulles d’oxygène nous rendent la tâche plus légère. Un moyen de lutter sans s’effondrer dans notre lutte rarement rose.
Mais méfiez-vous de nos allures inoffensives. Si notre style est mordant, c’est que nous savons aussi montrer les dents.
Nos Actions, nos ambitions
Pédagogie
De grandes luttes comme celles contre le sexisme ou le racisme sont aujourd’hui solidement installées, et ces mots sont connus de tous. Cela ne signifie pas que les problèmes sont réglés, loin de là, mais sur la base de ces termes, un échange de fond, une argumentation deviennent possibles, quant aux détails et mécanismes.
Nous sommes conscientes que le validisme n’en est pas encore à ce stade, et qu’il doit encore faire un long chemin pour atteindre le grand public. Le mot lui-même est encore inconnu d’une vaste part de la population (y compris de nos proches, ou de personnes handicapées elles-mêmes), et reste même âprement refusé par l’actuelle secrétaire d’État chargée des personnes handicapées !
Pour mener un combat, nommer son ennemi est une première étape indispensable.
Nous espérons donc contribuer à sa vulgarisation, en produisant des contenus solides mais accessibles, et en diffusant des supports déjà existants, qui pourront être mobilisés et communiqués aux personnes souhaitant apprendre sur ce thème.
Les personnes handicapées de votre entourage (y compris nous) ne vous doivent aucun enseignement. Nous souhaitons vous proposer quelques pistes de base, pour vous donner l’envie et les moyens d’aller plus loin. Nous amorçons le mouvement, mais il incombe à chacun de consacrer du temps et de l’énergie à cette recherche.
Des cercles militants, plus familiers des oppressions, nous attendons aussi leur part de déconstruction, mais plus encore de construction de nouveaux espaces de luttes qui ne nous oublient plus, qu’ils soient palpables ou théoriques.
Activisme radical
Nous n’allons pas nous contenter de faire de la pédagogie dans la bonne humeur, nous tenons également à ce que nos actions aient des répercussions concrètes, positives, durables. Il est urgent de sortir le handicap du champ de l’émotion, car « changer le regard » ne se fera jamais sans un grand coup de pied structurel dans la société.
Nous sommes indépendantes de tout parti et ne souhaitons être associées à aucun de leurs événements (nos membres sont libres de s’y investir à titre personnel sans engager le collectif). Toutefois, notre parole est bien évidemment politique !
Les discriminations que nous subissons ne se jouent pas que dans les esprits, mais trouvent leurs racines dans la société institutionnelle française. Nous exigeons donc une politique qui intègre le handicap dans chacune de ses décisions.
L’émancipation ne se décrète pas, elle se construit et la nôtre passera en particulier par :
- La désinstitutionnalisation : les structures spécialisées sont des lieux d’enfermement, de privation de libertés et de droits, d’infantilisation et de maltraitances, incompatibles avec une vie digne, guidée par l’auto-détermination.
- L’accessibilité universelle, non négociable, de l’ensemble de l’espace public, des logements, des écoles et lieux de formations, professionnels ou de loisirs, sans oublier bien sûr l’accès aux soins.
- Le droit inaliénable à disposer de son corps, dont les personnes handicapées sont privées, plus que quiconque, en matière d’auto-détermination, de soins, de sexualité, ou de procréation.
- L’abolition du capitalisme, un système intrinsèquement validiste, considérant la valeur d’un individu à l’aune de sa productivité et de sa rentabilité, poussant dans ce but toujours plus loin la standardisation. Aucun aménagement n’en fera jamais un système acceptable, qui pourrait prendre en compte nos particularités dans une vision égalitaire.
- Liste non exhaustive…
Faire communauté
Porte-voix
Nous nous sommes rassemblées, pour porter la voix des femmes handicapées.
Nous ne prétendons bien sûr pas pour autant les représenter dans leur ensemble, elles sont aussi diverses que la société peut l’être.
Mais parce que la sororité nous laisse trop souvent sur le bas-côté, créons notre îlot de solidarité, et donnons ensemble plus de visibilité aux femmes handicapées, à leur discours, leurs initiatives, leurs actes. Faisons-nous la courte échelle, ou du moins une version accessible.
Crip culture et fierté handi
Nourrissons notre communauté. Détachons notre attention de nos déficiences et de nos empêchements, et regardons comme nous sommes belles et beaux.
Comme d’autres communautés, nous sommes liés par une culture d’une immense richesse. Nous avons une histoire, des figures importantes, artistes, activistes ou bandits, des codes, un langage. En France cette culture est encore méconnue, et nous espérons contribuer à la diffuser, la soutenir, la nourrir et lui redonner ses lettres de noblesse.
Dans nos failles poussent des possibles inattendus, dans ces possibles nous puisons des ressources impensées. Reconnaissons et aimons nos identités, découvrons une fierté handi.