Article écrit par Jamal, l’auteur du podcast JINS, podcast sur la sexualité des personnes Arabes et/ou musulmanes de France. 100% indépendant, féministe, intersectionnel et inclusif.

Les personnes racisées et/ou musulmanes en situation de handicap ont été marginalisées selon une dynamique coloniale, patriarcale et raciste.

Leurs corps renfermeraient l’irrationalité, la folie, la sauvagerie et l’étrangeté. Le refus d’administrer des antalgiques aux femmes noires qui accouchent, le syndrome méditerranéen qui fait mourir Naomi Musenga et la petite Aïcha, l’absence de diagnostic ou les mauvais traitements médicamenteux pour les femmes musulmanes neurodiverses, les mesures biologiques arbitraires comme l’IMC Indice de Masse Corporelle (inventé par des médecins blancs pour des corps blancs) sont autant de signes du validisme crasse de notre société.

L’islam considère le handicap comme faisant partie de la condition humaine : il n’est ni signe d’élection ni signe de malédiction, mais doit être pris en charge par la société au nom de la solidarité. Le Message coranique prohibe fortement le validisme : « Nul grief ne sera fait à l’aveugle, pas plus qu’au boiteux et au malade » (Coran S48 ; V17). Par ailleurs, en islam, le mariage est un droit reconnu pour les personnes en situation de handicap. Les personnes en situation de handicap, visible ou invisible, ont le droit à l’amour et à la sexualité. Et ce, quel que soit leur corps.

Sauf que, sous fond de misérabilisme, nous avons programmé nos désirs pour que les personnes handicapées ne soient ni désirantes ni désirables. Le handicap réinterroge les normes corporelles dans les enjeux de la sexualité, du désir, de ce que l’on attend des corps genrés. Typiquement, le handicap annulerait la masculinité et surtout la virilité d’un homme hétérosexuel même s’il n’a pas de problème érectile. Le handicap peut déformer le corps féminin que l’on veut faire ressembler aux premières de couverture de magazine d’été.

Le biopolitique de Michel Foucault souligne le contrôle, la normalisation et la productivité des corps. Les corps considérés comme dégénérescents ou déviants, par leur handicap, leur sexualité ou leur couleur de peau sont enfermés dans les hôpitaux ou les prisons. La normativité capitaliste, raciste, patriarcale et validiste doit assainir ces corps pour les rendre dociles. C’est dans cette même logique mortifère que des personnes en situation de handicap, des femmes autochtones, des femmes réunionnaises, des personnes intersexes ou transgenres ont pu être stérilisées de force.

Déjà en 1952, Frantz Fanon décrit « le syndrome nord-africain ». Il s’interroge sur le racisme et le mépris du corps médical vis-à-vis de la douleur du patient nord-africain, faisant de lui « un simulateur, un menteur, un feignant, un voleur ». Les personnes à l’intersection de toutes ces oppressions sont des « damnés de la terre ». W.E.B. Du Bois avait aussi rapproché les violences subies par les corps noirs dans le contexte colonial-esclavagiste d’un handicap.

Cases de BD. Les personnes racisées et/ou musulmanes en situation de handicap ont été marginalisées selon une dynamique coloniale, patriarcale et raciste. Une femme racisée au téléphone dit qu'elle se sent mal, qu'elle va mourir. A l'autre bout du fil, une femme blanche tempère le discours "voyons vous exagérez". A droite on lit "Déjà en 1952, Frantz Fanon décrit « le syndrome nord-africain » l'illustration représente un homme noir au premier plan qui montre une conversation médicale. Un homme racisé est alité, le médecin lui demande à combien il a mal, et minimise sa réponse.
Illustrations de Mathilde lavieacroquer.wordpress.com

Le handicap n’est pas un totem d’immunité non plus ! Des personnes handies cis blanches peuvent aussi tout à fait exercer d’autres types d’oppression à l’encontre par exemple de personnes handies trans non-blanches. Parfois les luttes anti-validisme peuvent être accaparées par des personnes blanches, indiquant aux personnes handies non-blanches qu’elles ne sont pas légitimes à vivre leur handicap publiquement.

Plus encore, l’autrice Ola Ojewumi argumente que l’omission des récits de personnes handicapées dans l’histoire noire est aussi une forme d’effacement.

C’est que personnes handies racisées et/ou musulmanes sont à l’intersection de plusieurs formes d’invisibilisation et de silenciation. Se revendiquer dans leur identité intersectionnelle rompt ainsi l’aliénation, l’assignation à résidence, la pitié ou l’incapacité. C’est pourquoi il faut mettre en lumière les travaux de la poétesse noire Audre Lorde qui a abordé le validisme à travers son combat contre le cancer. De même, les apports de la Crip theory permettent de recouper brillamment les oppressions entre genre, race, handicap avec l’orientation sexuelle.

Pour reprendre les mots de Judith Butler, les corps des personnes racisées handies et queer sont aussi des corps qui comptent !

Il faut parler aussi d’Alice Wong, militante et chercheuse, qui s’est concentrée sur les expériences des personnes asiatiques handicapées. Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha, dans ses écrits, relie son expérience de femme sud-asiatique handicapée avec les luttes féministes et antiracistes. Aurora Levins Morales utilise son expérience de femme portoricaine handicapée pour explorer les intersections du colonialisme, du racisme, du sexisme et du validisme.

Des influenceur•euses comme Chellaman (asiatique, juif, trans, sourd) ou Aaron Phillips (mannequin femme trans noire en fauteuil roulant) abordent aussi l’intersectionnalité du validisme, du genre et de la race.

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