Les fêtes sont passées, on a bien profité de nos proches, et on espère tous attaquer cette nouvelle année du bon pied. Alors on se fixe des objectifs, des bonnes résolutions, comme obtenir plus de responsabilités au travail, se mettre aux pilates ou diminuer sa consommation de viande.

On espère que cette nouvelle année sera l’occasion de changer nos habitudes pour avoir une meilleure vie. Mais si nos bonnes résolutions étaient tournées vers les autres ? Si on essayait de mettre des paillettes dans la vie des personnes autour de nous ?

Lorsque nous avons fondé le collectif Les Dévalideuses en 2019, nous avons eu l’idée de créer une campagne de communication pour essayer de changer les comportements vis-à-vis des personnes handicapées. Nous voulions aller au-delà des clichés habituels pour aller traquer les habitudes en apparence bienveillantes, comme le fait de donner des conseils médicaux non sollicités, de considérer nos conjoints et aidants comme des héros ou encore de caresser les chiens d’assistance. Ainsi sont nées les 31 bonnes résolutions anti-validistes.

Aujourd’hui, je voudrais revenir sur ce projet qui souffle ce mois-ci ses 4 bougies.

Ces bonnes résolutions ont été pensées comme un outil de vulgarisation et de pédagogie, pour faire prendre conscience de l’impact des biais validistes sur notre quotidien. Pour commencer, nous avons jeté en vrac toutes nos idées sur un brouillon. Beaucoup de ces propositions étaient directement tirées de nos vécus personnels. L’une disait que les gens venaient régulièrement envahir son espace personnel pour lui caresser les cheveux ou la joue sous prétexte qu’elle est en fauteuil roulant, une autre racontait que ses collègues de travail considéraient son handicap comme un privilège. On avait toutes beaucoup d’histoires à raconter, et ce faisant, on a énormément appris les unes des autres.

De mon côté, je découvrais le quotidien des personnes ayant des handicaps visibles et directement identifiables. On n’a pas la même expérience quand les gens nous catégorisent à priori comme “valide”. Mais malgré la diversité de nos handicaps et de nos vécus, nous étions liées par cette expérience commune du validisme.

Tout ça, c’était en décembre 2019. Puis les fêtes sont arrivées, et quelques jours avant le lancement de la campagne, nous avons réalisé que nous n’étions plus que 3 ou 4 volontaires présentes pour porter ce gros projet.

C’est une composante essentielle à garder en tête lorsqu’on travaille avec des personnes handicapées : rien n’est acquis d’avance. Notre santé, notre énergie, notre mental ne sont pas des éléments fixes et prévisibles. Et nous devons prendre soin de nous avant tout, quitte à parfois mettre nos engagements entre parenthèses. C’est d’ailleurs une des premières choses que nous disons aux personnes qui nous rejoignent dans cette aventure : “vous n’avez pas à vous justifier de vos absences, et vous n’avez pas à culpabiliser de ne pas être là”.

Ce mois de janvier 2020 a donc été un marathon. Nous avions de belles idées, des exemples à foison, mais pratiquement aucun texte finalisé. Alors, chaque jour, on choisissait le sujet du lendemain, on écrivait à plusieurs mains, on cherchait des sources intéressantes, on préparait le visuel, et le lendemain il fallait poster sur Twitter et Instagram, décrire les gif et images utilisées. Et recommencer. C’était un travail sans fin. Lorsque nous avons finalement publié la dernière bonne résolution le 31 janvier, nous étions au bout du rouleau.

Mais cette campagne a eu un impact au-delà de tout ce que nous pouvions imaginer. Elle a d’abord permis de construire les bases de notre communauté. Les gens ont été interpellés ou se sont retrouvés dans nos exemples, et ils ont commencé à nous suivre sur les réseaux. Puis c’est devenu un support récurrent pour illustrer le validisme dans nos interventions, dans les ateliers et autres événements militants.

Régulièrement, des personnes nous écrivent pour savoir si elles peuvent utiliser les textes et visuels pour des événements, activités pédagogiques ou journées de sensibilisation. Récemment, on a même appris qu’un des textes avait été étudié en cours de philo dans un lycée !

On nous a aussi proposé d’en faire un livre, mais nous n’avons pas donné suite. Car, aussi utiles soient-elles, avec le recul, ces bonnes résolutions nous apparaissent comme un travail inachevé.

Nous avons tellement appris et grandi en quatre ans. Si c’était à refaire, il y a beaucoup de sujets que nous aimerions ajouter. Nous aimerions parler de l’institutionnalisation, du travail en ESAT, du contrôle sur les corps comme les stérilisations forcées, des violences médicales, économiques et sexuelles, de l’impact du racisme sur le validisme, des tutelles et curatelles, des discriminations grossophobes, etc. Il aurait fallu bien plus que 31 jours pour montrer toutes les facettes du validisme.

Et puis parfois, on reçoit ce genre de message :

« Merci, merci pour votre travail, c’est tellement difficile pour nous… la fatigue pour cacher ce handicap, la culpabilisation des proches et l’humiliation de la société. Les valides qui parlent en notre nom. Les associations spé qui parlent à notre place et ne veulent pas travailler avec nous. Les soignants validistes. Bref, encore merci pour votre travail. »

Et on se dit qu’on a quand même réussi à toucher les gens, et à offrir une juste représentation des discriminations validistes, au-delà de ces bonnes résolutions.

En ce début d’année, je voudrais dire un grand merci à tous ceux et celles qui nous soutiennent, nous envoient de gentils messages et contribuent à diffuser nos travaux. Vous nous donnez la force de continuer à lutter.

Voir le projet : http://lesdevalideuses.org/les-projets/bonnes-resolutions-anti-validistes/