Billet du blog Wheel-inked écrit par Laetitia Rebord, l’une des membres actives des Dévalideuses.

Je me décide enfin aujourd’hui à écrire sur un sujet qui me provoque tellement d’émotions que j’ai repoussé l’écriture de ce billet pendant deux mois. Après avoir lu énormément de choses à propos du projet de loi sur l’aide à mourir[1]Le projet de loi doit être discuté au Parlement. Il sera débattu en séance publique par les députés à partir du 27 mai, avant d’être transmis au Sénat., les arguments divergents, ainsi que des informations objectives de personnes vivant dans des pays où ce type de loi est déjà passé, je peux formuler un avis qui mélange militantisme antivalidisme et expérience personnelle.

J’ai commencé à me poser la question de l’euthanasie, je me souviens, avec l’affaire de Vincent Humbert[2]Affaire Vincent Humbert qui avait eu un grave accident en 2000 et qui avait demandé le droit de mourir au Président de la République en 2002. Sa mère ainsi qu’un médecin l’ont aidé à partir en 2003 avant d’être jugés puis acquittés. Cette histoire avait une résonance assez particulière car elle faisait remonter en moi l’immobilité de cet homme qui, comme moi, même en le souhaitant, ne pouvait se donner la mort lui-même. Je trouvais cela tellement injuste que, bien sûr, ma première réaction fut d’être favorable à une évolution de la loi.

Vint ensuite le cas de Vincent Lambert[3]Affaire Vincent Lambert, également victime d’un accident de la route en 2008, décédé en 2019, au terme de 11 ans et 12 procédures judiciaires à l’initiative d’une famille religieuse, à l’encontre des équipes médicales qui, après moultes rapports, ont conclu à l’état végétatif chronique irréversible de Vincent. La famille souhaitait qu’il soit maintenu indéfiniment sous assistance respiratoire jusqu’au décès dit naturel. Sa femme demandait depuis longtemps l’arrêt des traitements. À ce moment-là, en plus de me rendre compte qu’il n’était de toute façon plus vivant cérébralement, c’est mon athéisme qui a fait écho. Je ne pouvais pas supporter l’idée que des parents puissent, devant une telle situation, prôner encore que ce soit à Dieu de choisir le moment où Vincent s’en irait. Avaient-ils une quelconque considération pour leur enfant à ce moment-là ?

Après de tels événements dramatiques, évidemment que l’on ne peut pas rester indifférentE et que ma propre situation de dépendance n’avait fait que remuer ce débat en moi. Je voulais qu’on laisse le choix et qu’on assiste la personne si elle ne peut pas se suicider seule.

Devant ces deux affaires, il semblait claire que nous faisions face à la nécessité d’une évolution législative.
Mon validisme intériorisé s’était déjà bien développé dans ma structure cérébrale depuis que j’avais entendu mon grand-père déclarer ouvertement, à plusieurs reprises, qu’à ma place, il se tirerait une balle. J’avais donc fini par l’intégrer, il faut pouvoir donner la mort aux personnes malades et dépendantes.

Et puis, j’ai chaussé les lunettes du validisme. Je me suis éveillée à plusieurs oppressions dont celle je suis victime depuis ma naissance. Aujourd’hui, je peux confirmer être de plus en plus dérangée par ce projet de loi au vu de tout ce qui se cache derrière ses allures progressistes.

J’ai d’abord eu un sentiment très contradictoire et affreux d’avoir l’air du même côté que les religieux•ses ou les conservateurices réactionnaires d’extrême droite qui affirment que le corps appartient à la divinité qui l’a créé. Jusqu’au jour où j’ai compris que la gauche aussi pouvait être profondément validiste et que cette histoire d’aide à mourir en était la preuve parfaite.

Avant d’aller plus loin, je vais vous parler de mes propres envies de mourir car oui, j’en ai eu et j’en aurais probablement encore. Il m’est même arrivé à l’époque, dans les périodes sombres de mon adolescence, de reprocher à mon père de ne pas vouloir m’aider à mourir alors que je ne pouvais pas le faire par moi-même. Mes différentes psychothérapies m’ont permis de réaliser que pouvoir en parler était salvateur et que, contrairement à ce que je pouvais penser, j’aurais tout à fait pu me donner la mort si j’en avais eu réellement la volonté.

Si l’on me demande quelles sont les raisons pour lesquelles je souhaitais/souhaite parfois en finir, je peux notamment citer les moments de grande souffrance physique, il y a encore beaucoup. Ma maladie imposant l’immobilité ainsi que d’autres soucis de santé plus ou moins fréquents avec l’âge avançant, j’ai des douleurs chroniques qu’il est souvent difficile de soulager par simple médication et dont la fréquence entame énormément le moral.

Alors que certains jours, je n’ai plus envie de me battre, le lendemain je peux avoir une incroyable volonté de profiter du moindre petit bonheur que la vie m’offre. Et oui, je vous le donne en 1000, il y en a plein, même avec une maladie qui me paralyse quasi entièrement.

J’ai donc appris à vivre avec une santé mentale fluctuante mais qui ne justifie absolument pas la nécessité d’arrêter de vivre.

Mais l’une de mes plus grandes souffrances, c’est la dépendance aux autres. Et celle-là, je pense qu’elle pourrait être atténuée si la société n’allait pas dans le sens du besoin d’élimination des plus dépendantEs.

Mon envie de mourir vient la plupart du temps parce que mon existence semble peser sur celle des autres, qu’il s’agisse de proches ou non. Mon envie de mourir vient parce que je ressens que l’on ne veut pas de moi dans cette société. Mon envie de mourir vient surtout d’un environnement inadapté à mon handicap. Mon envie de mourir est principalement le résultat du validisme dans lequel je baigne depuis ma naissance et dont la société nie même l’existence.

Évidemment que les personnes handicapées continueront de ne plus avoir envie de vivre dans un pays où elles sont poussées toujours plus vers les établissements médico-sociaux dans lesquelles elles vivent des violences institutionnelles insupportables. Bien sûr que les personnes handicapées continueront de vouloir mourir si elles sont en permanence retranchées chez elles à cause de l’inaccessibilité persistante et impunie. Bien sûr que les personnes handicapées continueront de vouloir en finir à cause de l’inconsidération des métiers du care et de l’humain entraînant le désintérêt grandissant et compréhensible des nouvelles générations et dont, rappelons-le, les personnes qui en dépendent sont les premières à souffrir.

Regardons maintenant la situation dans les pays où la législation va déjà dans ce sens. Les demandes de suicide assisté ont explosé. Les militants antivalidistes du Canada, par exemple, tirent la sonnette d’alarme car cela est en train de créer dans la pensée collective l’idée que toute vie avec un handicap/une maladie n’a absolument aucune valeur. Ne donnant pas les moyens aux personnes handicapées de vivre dignement, ces pays sont en train de les persuader qu’elles n’ont pas l’autorisation d’y vivre et qu’être dépendantE des autres doit les pousser au suicide.

Soyons maintenant très réalistes, et les médecins en soins palliatifs ne font que le confirmer, la grande majorité des personnes malades veulent VIVRE, même en sachant qu’il n’y a plus d’espoir à plus ou moins long terme. Il n’y a que les bien portants, dirigés par leur propre peur de devenir dépendantEs, qui affirment que tout le monde souhaite mourir en cas de mauvaise santé entraînant la perte progressive d’autonomie.

Je pense que la douleur physique que l’on ne peut pas soulager devrait rester l’unique raison d’avoir recours au suicide assisté, encore faut-il avoir tenté de la soulager sans succès. Nous ne mettons encore pas tout en place pour y parvenir.

Les soins de santé mentale doivent être renforcés. Beaucoup trop de personnes soignantes ou accompagnantes ont tendance à vouloir abandonner ce soutien sous le prétexte validiste que la vie ne vaut d’être vécue avec un handicap ou une maladie. Les personnes handicapées, elles-mêmes ayant été construites dans cette idée, seront les premières à demander à ce qu’on les tue si elles ont besoin des autres pour sur(vivre).

Concrètement, quels sont les dangers d’une telle loi ?
Nous ne pouvons pas éclipser la dérive eugéniste dont les réalités existent déjà bel et bien dans les pays qui ont légiféré dans ce sens. L’eugénisme se cache concrètement derrière les stérilisations forcées des personnes handicapées, la contraception imposée en institutions ou dans les familles, l’avortement thérapeutique, et tellement d’autres choses bien réelles dans notre quotidien. Ce projet de loi sur l’aide médicale à mourir n’en est qu’une extension plus visible.

Rappelons aussi qu’une loi structure indéniablement la pensée et que le danger se trouve, entre autres, dans le fait de trouver normal et ne pas se poser plus de questions quand une personne handicapée demande à ce qu’on l’aide à mourir. Bien sûr, il est inconcevable de pouvoir être heureux avec un handicap/une maladie.

Comme c’est déjà notamment le cas au Canada, si cette loi passe en France, les demandes de suicide assisté risquent d’augmenter dangereusement car actuellement les moyens ne sont pas suffisants pour vivre dignement en situation de handicap en France. Les personnes qui le demanderont le feront principalement car elles considèreront être un poids pour la société et leurs proches.

Nous ne sommes pas loin d’imaginer que les jeunes en situation de handicap anticiperont parce que rien n’aura été mis en place pour leur permettre de vivre correctement et de façon respectée, même en situation de dépendance.
Alors, je suis aujourd’hui certaine que je suis défavorable à cette loi d’aide à mourir TELLE QU’ELLE EST PRÉVUE ACTUELLEMENT. Je suis pour une réelle évolution en faveur d’un choix à mourir après avoir eu le choix de vivre. Je suis pour que l’on soulage les souffrances en créant de véritables soins palliatifs.

Mes douleurs seront toujours le reflet du fait que je suis bien vivante, que je peux toujours respirer, que je peux entendre et voir l’amour de mon mari, profiter de la présence de mes chats, sentir le soleil sur ma peau, même en sachant que demain ne sera pas forcément agréable, voire même très difficile, mais qu’après demain sera peut-être bien meilleur.

Je veux vivre à vos côtés. Je souhaite que vous me fassiez de la place avant de me dire que j’ai le droit de mourir. Réfléchissez-y avant de penser qu’une telle évolution serait forcément une avancée.

Pour aller plus loin :
L’euthanasie n’est pas de gauche, Alexia Soyeux, Présages, 17 mars 2024
Fin de vie : pour les personnes handicapées, « la mort ou quelle vie ? », Céline Extenso, Politis, 20 mars 2024
Une « mort digne », mais pour qui ? Approche anti-validiste de la loi fin de vie, Les Dévalideuses, 20 mai 2024
Fin de vie et économie : aucune relation ?, Bernard Pradines, Médiapart, 18 avril 2024

References

References
1 Le projet de loi doit être discuté au Parlement. Il sera débattu en séance publique par les députés à partir du 27 mai, avant d’être transmis au Sénat.
2 Affaire Vincent Humbert
3 Affaire Vincent Lambert