Cet article, écrit et proposé par Sahara Azzeg, artiste militant crip queer qui fait des recherches en art, handicap, identités queer et luttes sociales. Sahara reprend dans cet article des éléments et des citations de son mémoire de recherche Médicaments : point de vue des artistes handicapéEs contemporainEs réalisé à la HEAD à Genève dans le cadre du master arts visuels TRANS, soutenu au printemps 2024

Note sur l’écriture inclusive : Sahara choisit d’écrire dans une forme inclusive et non binaire, en utilisant les X pour signifier le neutre. Pour faciliter l’accessibilité et l’usage de lecteurs d’écrans, nous avons choisi de publier son texte avec de E majuscule à la place des X. Ce texte est donc au féminin pluriel, mais gardons à l’esprit qu’il est rédigé dans une approche non binaire de la langue.

Il est aujourd’hui en France question de potentiellement autoriser l’euthanasie, donc le suicide assisté. Mais l’euthanasie peut-elle être compatible avec les luttes anti-validistes ? En effet le suicide assisté est souvent vu comme une question d’autonomie face à la mort, avec une vision très antique du suicide comme pur acte du libre-arbitre de l’individuE. Cependant depuis Le suicide[1]DURKHEIM, Émile, Le suicide, Presses Universitaires de France, 1897 de Durkheim la question du libre-arbitre face au suicide est largement contredite par la sociologie et la médecine.

Les envies suicidaires pouvant être liées à des conditions sociales défavorisées comme la pauvreté et les discriminations ou à des conditions de santé notamment mentale comme avec la dépression par exemple. Il est important que cette question soit pensée par et pour des personnes malades.

Sans réelle avancée pour lutter contre le validisme et pour le soin et le confort de vie des personnes malades, les questions autour de l’euthanasie monopolisées par les institutions valides se révèlent d’avantage un système d’eugénisme qu’un accès au choix de mourir.

Par exemple en Suisse il n’y a pas de réglementation fédérale autour du suicide assisté outre que la personne ne doit pas être poussée à se suicider par une personne qui hérite de ses biens. Les cadres de prises en charge se font par des associations qui choisissent les conditions d’accès à l’euthanasie. Ainsi 2 % des décès en Suisse[2]OUEST FRANCE, En Suisse, le suicide assisté est autorisé depuis 1942, 25 mai 2023, Carine Janin le sont par suicides assistés majoritairement pour des personnes nouvellement malades et qui ne sont pas forcément en stade terminal. Le suicide assisté est même possible pour des personnes valides qui le souhaiteraient pour des questions d’âge par exemple[3]SWISS INFO, Les organisations suisses d’aide au suicide enregistrent un nombre record de membres, 28 mars 2023, Kaoru Uda. En effet en Suisse, en Belgique et au Canada l’écrasante majorité des personnes qui se suicident via un suicide assisté sont des personnes « nouvellement » handicapées comme des personnes cancéreuses par exemple (bien que les cancers peuvent aussi être des maladies qui courent sur toute une vie [et qu’après rémission beaucoup de malades restent handicapéE à vie]).

La communauté handicapée est extrêmement diversifiée et n’importe qui peut potentiellement la rejoindre à un moment de sa vie.

Dans la même communauté des personnes handicapées depuis leur naissance pour qui être dépendantE n’est pas considéré comme humiliant ou indigne côtoient des personnes qui le seront pour les dernières années de leurs vies pour qui perdre de l’autonomie peut paraître comme insoutenable. Le validisme intériorisé est très présent dans notre communauté (comme dans toutes les communautés opprimées il y a une part d’oppression intériorisée) qui se voient augmenter de personnes valido-centrées qui vivent difficilement leur nouvel handicap et développent rapidement des envies suicidaires. Ce qui pose la question également du suivi psychologique face au handicap et aux diagnostiques. Puisqu’aujourd’hui lorsque l’on est diagnostiquéE de maladies, de handicaps même sévères, dégénératifs, etc. il n’y a aucune prise en charge psychologique systématique. Lorsque l’on voit la psychiatrisation d’autres minorités comme les personnes trans, il est notable de voir que l’idée que les personnes handicapées puissent se voir proposer des suivies psy n’est pas à l’ordre du jour.

Pour les même pathologies une personne atteinte depuis une grande partie de sa vie demandera moins à se suicider via le suicide assisté qu’une personne ayant été valide toute sa vie qui se retrouve malade à un âge avancé, ce que l’on peut observer dans les chiffres sur l’euthanasie belges[4]Communiqué de presse de la Commission fédérale de Contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie – CFCEE, 17 février 2023 : EUTHANASIE – Chiffres de l’année 2022 via l’âge et le type de handicaps des personnes qui se suicident. Au Canada, en Belgique comme en Suisse, il n’est d’ailleurs par nécessaire d’être atteintE d’une maladie au stade terminal pour y avoir accès.

C’est la question de la « dignité » de vie qui fait loi. Ainsi comment se défini la dignité de vie, et pourquoi la vie handicapée paraît indigne. La perte d’autonomie est quasi-systématiquement perçue comme allant contre la dignité de la personne malade. Cette vision validiste de la dignité interroge et inquiète les militantEs handicapéEs anti-validistes comme l’activiste canadienNE Andrew Gurza qui s’auto-définiE comme lourdement handicapéE. Pour iel l’euthanasie ne doit pas être utilisée comme solution pour ne pas donner accès aux aides nécessaire aux personnes très dépendantes. Iel milite pour la visibilisation et la normalisation des personnes très dépendantes afin de les humaniser et leur donner accès à leurs droits. Iel milite notamment pour que sa vie très dépendante de l’aide d’autrui ne soit pas vue comme indigne par les valides mais comme une manière de vivre comme une autre.

La question de la dignité de la vie reste une question compliqué très largement emprunte de validisme. Elle nécessiterai que les personnes malades soient écoutées en premier lieu, que les malades de longs termes puissent via leurs expertises et la paire-aidance contraindre les États a donner accès à de meilleures conditions de vie des personnes malades et nouvellement malades. Car il est important que toustes puissent avoir accès aux soins et à des bonnes conditions de vies.

Face à l’euthanasie les personnes handicapées expertes devraient être incluses dans le débat et les personnes voulant avoir accès à ce type de suicide devraient également avoir accès à ce lien communautaire[5]BOURLEAU, Augustin, L’euthanasie n’est pas de gauche, 6 mars 2024, Kessel media. Il est aussi important de questionner les envies suicidaires des personnes handicapées et de comprendre d’où elles viennent pour y donner la meilleure solution. Sachant que les envies suicidaires sont parfois pour certaines pathologies des symptômes de cette dernière (troubles borderline par exemple)..

Cependant aujourd’hui les personnes malades de long terme voir depuis toute leur vie ne sont pas au cœur des discussions autour du suicide assisté et sont généralement moins bien prises en charge que les personnes nouvellement handicapées. »[6]AZZEG, Sahara, Médicaments : point de vue des artistes handicapéEs contemporainEs, mémoire de recherche, 2024

References

References
1 DURKHEIM, Émile, Le suicide, Presses Universitaires de France, 1897
2 OUEST FRANCE, En Suisse, le suicide assisté est autorisé depuis 1942, 25 mai 2023, Carine Janin
3 SWISS INFO, Les organisations suisses d’aide au suicide enregistrent un nombre record de membres, 28 mars 2023, Kaoru Uda
4 Communiqué de presse de la Commission fédérale de Contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie – CFCEE, 17 février 2023 : EUTHANASIE – Chiffres de l’année 2022
5 BOURLEAU, Augustin, L’euthanasie n’est pas de gauche, 6 mars 2024, Kessel media
6 AZZEG, Sahara, Médicaments : point de vue des artistes handicapéEs contemporainEs, mémoire de recherche, 2024