Image tirée d’une manifestation du collectif Action MDPH 35.
26 mai 2025 – Tribune également publiée sur le Club Mediapart.
Suite à de nombreux constats dans nos vies personnelles, suite à de multiples témoignages que nous avons reçus et que nous lisons quotidiennement sur les réseaux sociaux, nous, Les Dévalideuses, avons décidé de dénoncer et de combattre les violences systémiques et quotidiennes envers les personnes handicapées commises par les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH). Ces structures qui doivent nous permettre d’accéder à nos droits produisent de la violence.
Nous avons travaillé avec des journalistes de Médiapart pour rendre visible ces témoignages et les fonctionnements des MDPH. Yannis Angles et Marie Turcan ont publié le 1er juin 2025 deux articles sur le sujet.
- Article 1 : (dans la catégorie Discriminations) « C’est toujours une bataille » : les personnes handicapées face à la violence administrative
- Article 2 : Handicap : les salariés de maisons départementales spécialisées n’en peuvent plus non plus
Aujourd’hui plus que jamais, les discours antivalidistes ont besoin de se faire entendre. A l’occasion des débats au sujet de la loi « fin de vie » de nombreux discours présentent les corps malades, handicapés, dépendants, une nouvelle fois, comme ayant moins de valeur que les corps valides et pouvant de ce fait justifier le recours au suicide assisté car non dignes. Or à aucun moment les conditions dans lesquelles nous vivons ne sont interrogées.
Il nous semble urgent de dénoncer, en parallèle de ces débats, les véritables scandales qui se jouent dans les MDPH. Les MPDH devraient constituer la cheville ouvrière de la qualité de vie des personnes handicapées au travers de l’octroi de moyens de compensation prévus par la loi.
Or les aides humaines et techniques insuffisantes accordées par celles-ci et leurs dysfonctionnements pourraient nous inciter à finir par choisir la mort, plutôt qu’une vie indigne, privée de droits. Les 500 témoignages recueillis par les Dévalideuses en sont une démonstration.
Les Dévalideuses est un collectif de personnes en situation de handicap engagées pour une reconnaissance politique des enjeux liés au handicap. Nous dénonçons le validisme, le système d’oppression que subissent les personnes handicapées et qui entraîne toutes les discriminations dont elles sont victimes. Nous militons pour un changement de modèle concernant leur place dans la société.
Pour que ces revendications deviennent réalité, il faut que les personnes handicapées puissent obtenir leurs droits, ceux encore à conquérir mais aussi ceux qui existent déjà et qui sont bafoués. Ce qu’il se passe dans les MDPH est un exemple des plus frappants de cette négation de droits, mettant la vie des personnes handicapées en grave danger.
La composition des MDPH ne permet pas de défendre réellement les droits des personnes handicapées
Les MDPH sont des instances des Conseils départementaux ayant pour rôle d’accorder la reconnaissance du statut de personne handicapée et les droits pouvant y être associés (AAH = allocation adulte handicapé, PCH = prestation de compensation du handicap, RQTH = reconnaissance de travailleur handicapé, CMI = carte mobilité inclusion…) . Elles sont composées de professionnelLEs du médico-social qui doivent évaluer le degré de handicap et l’autonomie de la personne, ainsi que les demandes qu’elle a promulguées via un formulaire envoyé. Le dossier passe ensuite en Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), où siègent également des représentantEs de l’Etat et du département, ainsi que des représentantEs de personnes handicapées.
Rappelons que les représentantEs des personnes handicapées dans ces commissions sont souvent issuEs des associations gestionnaires d’établissements spécialisés. Ce sont des acteurices qui ont un bénéfice économique à maintenir les personnes handicapées en institutions. Il est difficile de croire que les intérêts des personnes qui demandent les moyens de vivre une vie autonome soient correctement défendus. La CDAPH propose alors un Plan Personnalisé de Compensation (PPC) que l’usagerE peut accepter ou refuser et lui donne un espace d’argumentation s’iel n’est pas en accord avec la proposition qui lui a été faite. La CDAPH donne ensuite une notification de décision que l’usagerE peut contester via un RAPO (demande de réévaluation du dossier), puis au tribunal si la MDPH persiste dans sa décision.
Malgré une procédure claire, cette dernière se voit remise en question dans certains départements. Dans d’autres, des règlements internes aux départements surpassent les textes nationaux (ce qui est illégal), amenant à des situations extrêmement violentes et de graves mises en danger.
Demander ses droits quand on est handicapé expose à de l’humiliation et une mise en danger matérielle
Au-delà de nous appuyer sur nos histoires personnelles, nous avons lancé une enquête nationale où nous avons récolté à ce jour 500 témoignages. Cette enquête vise à rassembler des témoignages afin de rendre très tangibles les violences structurelles, ce n’est pas une étude exhaustive des MDPH de France. Il s’agit de mettre en lumière la gravité des répercussions des dysfonctionnements de ce service public dans la vie des citoyens. Les résultats de cette enquête sont édifiants :
- 84% des répondantEs à notre enquête considèrent que tout est fait pour qu’iels renoncent à leurs droits.
- 70% des répondantEs à notre enquête considèrent que les dysfonctionnements de la MDPH ont entraîné la dégradation de leur santé mentale.
- 65% des répondantEs à notre enquête considèrent avoir vécu un sentiment d’humiliation et une perte de confiance en elleux à l’occasion de leur demande de droits MPDH.
Ces résultats s’appuient sur des réalités très concrètes de défaillances et de dysfonctionnements des MDPH.
Le délai de traitement des dossiers, par exemple, est un problème récurrent sur l’ensemble du pays. Alors que la loi prévoit quatre mois de délai de réponse de la part des MDPH, ces dernières peuvent mettre plusieurs années à le faire.
Ceci entraîne, bien sûr, des situations dramatiques pour les personnes en attente de ces réponses qui peuvent avoir besoin de ces aides pour respirer, manger, aller aux toilettes… Lorsqu’il s’agit d’un renouvellement de droits, ces délais de réponse entraînent des ruptures de paiement sur des prestations impossibles à avancer par des personnes vivant souvent en dessous du seuil de pauvreté (rappelons que c’est le cas pour toutes les personnes touchant l’AAH, le minimum social servant aux personnes handicapées à assurer leurs dépenses liées à la vie courante quand ces dernières ne peuvent travailler). Ces réalités obligent les bénéficiaires à trouver des solutions uniquement pour survivre sous peine de voir leurs besoins vitaux n’être plus assurés.
Le manque d’information et de dialogue est aussi souvent évoqué, laissant les bénéficiaires dans la plus grande incompréhension quant à l’évolution de leurs dossiers.
Des étapes de la procédure d’évaluation ne sont pas respectées, comme l’a souligné le collectif Action MDPH 35 concernant l’envoi de la proposition de PPC qui doit être systématique et donne lieu à un droit de réponse du bénéficiaire. En ne respectant pas cette étape, la MDPH nie le droit du bénéficiaire à contester ce qui lui est proposé. Les invitations en CDAPH pour défendre ses droits ne sont également pas respectées, allant même parfois jusqu’à un refus de présence explicite.
Enfin, la CDAPH va bien au-delà de ses fonctions, de manière abusive : la mission de la CDAPH est de statuer sur un besoin, qu’elle convertit en nombre d’heures. La CDAPH n’a donc ni à statuer sur la façon dont l’usagerE doit utiliser ses heures, ni sur un montant chiffré de la PCH, et pourtant elle le fait.
Ces difficultés se cumulent également à d’autres oppressions systémiques comme le racisme ou la transphobie, poussant les personnes concernées à ne même pas oser demander leurs droits.
Une fois la demande de droit acceptée, le contrôle départemental est infernal et rend la vie autonome difficile
Lorsque le dossier est accepté, le calvaire est loin d’être terminé ! Du chantage est parfois proféré obligeant certainEs usagerEs à faire effectuer leurs heures via un service prestataire d’aide à domicile alors que la loi précise clairement que l’usagerE est libre d’utiliser les heures qui lui ont été accordées comme iel le souhaite (en société prestataire, en emploi direct, en mandataire ou en aidant familial).
C’est une mission du Conseil départemental que d’effectuer des contrôles au minimum tous les 6 mois et uniquement pour s’assurer que le nombre d’heures versé a été utilisé à bon escient (pour assurer une aide compensatrice du handicap).
Quand les Conseils départementaux auxquels appartiennent les MDPH prennent le relais des MDPH pour les versements, leurs délais de paiement sur des prestations accordées sont de plus en plus longs, mettant encore une fois les bénéficiaires en danger physique, voire vital, en extrême précarité et en grande souffrance psychologique.
La violence des MDPH est permise par la politique institutionnelle en France à l’encontre des personnes handicapées
Cette situation dans les MDPH n’est que le revers de la médaille de la politique institutionnelle française à l’encontre des personnes handicapées. En effet, quelle meilleure preuve pour justifier les institutions spécialisées que celle de dire que la vie à domicile n’est pas possible ?
La vie à domicile, autonome et dans le respect de l’auto-détermination de chacunE, est tout à fait possible si elle est mise au centre des choix politiques et que des réels moyens y sont injectés. Or, aujourd’hui, la vie autonome des personnes handicapées n’est clairement pas une priorité politique en France.
Les services prestataires d’aide à domicile sont souvent des lieux de maltraitances aussi bien pour les personnes handicapées que pour les salariéEs, comme en témoigne l’exemple d’ONELA, entreprise d’aide à domicile dont le personnel a débuté une grève le 1er février 2024. ONELA embauche 3000 salariéEs qui dénoncent leurs conditions de travail déplorables : murs qui s’effondrent, rats dans les locaux, horaires élargis sans aucune augmentation de salaire. Voir l’article : Social : chez ONELA, des salariés en lutte pour les salaires et contre le racisme
Malgré les condamnations de l’ONU qui estime les institutions spécialisées comme « contraires aux droits humains », la France continue de développer ce système et d’y investir énormément d’argent. Cet investissement se fait au détriment du développement de la vie autonome, et montre une réelle volonté de maintenir les personnes handicapées dans des espaces à part, sous le joug de personnes valides, et dans un système les privant de toute possibilité d’émancipation. Ce constat a, encore une fois, été fait par l’ONU qui estime que plus une personne est envoyée tôt en institution, moins elle développera son autonomie et elle deviendra alors unE adulte manquant d’outils pour s’auto-déterminer.
L’Etat organise la précarité, la souffrance, voire la mort des personnes handicapées en bafouant les droits qui sont censés leur revenir, par le biais des MDPH d’une part. Et en délaissant les services de proximité d’aide à domicile vers lesquels certaines MDPH obligent à se tourner alors qu’ils n’ont pas les moyens d’assurer leurs missions d’autre part. Cette réalité qui veut que la société nous préfère mortEs que vivantEs s’incarne de façon glaçante dans l’actualité autour du droit à l’euthanasie et au suicide assisté.
Cette organisation de la vie institutionnalisée des personnes handicapées se fait dans la plus grande impunité, avec des politiques complices, et des silences qui avalisent ces prises de décision. Il est ainsi acté, comme le veut le système validiste, que la vie des personnes handicapées a moins de valeur que celle des valides, voire qu’elle ne vaut pas la peine d’être vécue.
Nous nous insurgeons contre cette réalité et refusons de laisser nos vies malmenées, détruites par ces décisions politiques et ce système validiste ! Pour nous, cette réalité ne pourra changer que s’il existe une représentation juste de nous-mêmes dans les CDAPH.
Nous demandons une représentation réelle des droits des personnes handicapées dans les MDPH, une acceptation des demandes de droits en cas de délai de réponse dépassant la durée légale, et une réelle transparence des fonctionnements.
Nous demandons une représentation réelle des droits des personnes handicapées au sein des CDAPH. Nous demandons que les représentantEs des personnes handicapées soient éluEs par ces dernières et qu’ils et elles obtiennent des mandats (avec une rémunération à hauteur du travail effectué) pour exercer leurs fonctions. Ces représentantEs doivent avoir de réels moyens d’exercer des contrôles concrets des MDPH afin que celles-ci respectent la loi.
Nous demandons également que la loi actuelle stipulant que, si une demande faite à la MDPH reste sans réponse après 4 mois, cette non-réponse équivaut à un refus, soit modifiée. Nous voulons que cette non-réponse devienne une acceptation automatique de la demande, et que des dommages et intérêts soient versés aux demandeureuses en cas de non respect de ces délais. En cas de refus de la demande, nous exigeons une obligation de convocation à la CDAPH de la personne concernée ou d’une personne la représentant pour défendre ses droits.
Nous demandons qu’il y ait davantage de communication et de transparence dans le traitement des dossiers, ainsi nous demandons une publication annuelle d’indicateurs de fonctionnement des MDPH comme le nombre de PPC envoyés ou le nombre d’invitations en CDAPH. Enfin, une prise en compte beaucoup plus attentive de la parole des premierEs concernéEs est indispensable.
Plus largement, nous demandons aux responsables politiques de prendre à bras le corps le validisme de notre société, qui entraîne le traitement des personnes handicapées comme des citoyenNEs de seconde zone. Nous demandons une véritable politique de désinstitutionnalisation et le développement de la vie autonome, notamment par la mise en place de services de proximité garantissant un accompagnement de qualité pour les personnes handicapées et des statuts professionnels protégeant réellement les salariéEs d’aide à la personne qui subissent souvent le racisme et la précarité. Mais également le respect des droits déjà existants pour les personnes handicapées, dans les MDPH et ailleurs (droit d’accès aux lieux publics par exemple qui existe depuis 1975 et est régulièrement reporté).
Nous, personnes handicapées, sommes loin d’être des fraudeureuses, contrairement à ce que nous fait souvent ressentir le passage en commission des MDPH où nous devons sans cesse prouver notre handicap, nous sommes les premièrEs expertEs de notre condition.