Publié le 18 février 2022 sur le site de l’European Network on Independent Living[1]European Network on Independent Living : Réseau Européen sur la Vie Indépendante (ENIL). Texte original en anglais.

Traduit au féminin générique par Clémentine Choubrac pour les Dévalideuses.

 

On estime que, dans le monde, entre 5 et 6 millions d’enfants vivent en institution (en savoir plus ici). Dans les 27 pays de l’Union européenne, ce sont plus de 302 979 enfants qui vivent en établissement médico-social. Même si de nombreux pays d’Europe ont commencé à fermer les grandes institutions pour enfants, les enfants handicapées sont souvent délaissées ou déplacées de grandes institutions vers de plus petites, telles que de petits foyers, des foyers de type familial ou des « villages d’enfants ». En raison de l’absence d’éducation inclusive, de nombreuses enfants handicapées sont obligées de fréquenter des écoles spécialisées, ce qui les éloigne souvent de leur famille.

En 2019, l’ANED (Academic Network of European Disability Experts ou Réseau universitaire d’experts européens en matière de handicap) a publié une série de rapports sur la mise en œuvre de l’article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) de l’ONU dans les États membres de l’UE et plusieurs pays voisins. Selon ces rapports :

  • Dans les pays européens qui prévoient ou mettent en œuvre des programmes de désinstitutionnalisation, les anciennes institutions sont généralement remplacées par des modes de vie en collectivité, de modalités et de taille variées, pour les adultes comme les enfants ;
  • Dans plusieurs pays, les enfants handicapées connaissent toujours un risque disproportionnellement plus élevé que leurs paires valides d’être placées en institution et de bien moins bénéficier des efforts de désinstitutionnalisation (UE en général, Autriche) ;
  • Dans certains pays ayant enregistré d’importants progrès quant à la réduction du nombre d’enfants placées en institution, les enfants handicapées sont délaissées (Serbie et Slovaquie) ;
  • Dans au moins un pays ayant vu baisser le nombre global d’enfants placées en institution, une augmentation globale du nombre d’enfants handicapées placées en institution a été enregistrée, sans que le nombre d’enfants placées en familles d’accueil ne s’améliore (Slovaquie) ;
  • Si certains pays ont fait des progrès en matière de désinstitutionnalisation des adultes, ils ont eu moins de succès avec les enfants (Finlande) ;
  • Dans les pays où le recours aux institutions est « exceptionnel », dont les pays scandinaves, les enfants handicapées sont représentées de manière disproportionnée dans les établissements médico-sociaux (en étant, par exemple, cinq fois plus à risque d’être institutionnalisées) et leur nombre s’accroît (Danemark, Royaume Uni).

Le droit des enfants handicapées à la vie autonome

Si mener une vie autonome est parfois vu comme un droit des adultes handicapés, cela s’applique tout aussi bien aux enfants. Pour rappeler la définition du pionnier de la vie autonome Adolf Ratzka, « il s’agit de bénéficier des options et du degré d’autodétermination que les personnes non handicapées considèrent comme allant de soi. » Pour les enfants handicapées, cela signifie pouvoir grandir en famille, avec leurs frères et sœurs, aller à la maternelle et à l’école du quartier, participer aux activités proposées aux enfants du quartier et jouer aux côtés de leurs paires. Pour les parents d’enfants handicapées, la vie autonome signifie pouvoir vivre aux côtés de leur enfant et lui offrir l’amour et les soins dont elle a besoin pour devenir une adulte autonome et réaliser son plein potentiel, et ce sans avoir à connaître la pauvreté, sacrifier leur santé, arrêter de travailler ou négliger leurs autres enfants.

Outre l’article 19, qui porte sur le droit à la vie autonome et à l’inclusion dans la société, l’article 7 de la CIDPH concerne les enfants handicapées et exige des États Parties qu’ils garantissent « la pleine jouissance de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales, sur la base de l’égalité avec les autres enfants. » Cet article énonce également clairement que l’intérêt de l’enfant doit toujours primer, et que les enfants handicapées doivent bénéficier d’une aide adaptée à leur handicap et à leur âge lorsqu’elles rencontrent des problèmes.

L’article 23 de la CIDPH, qui porte sur le respect du domicile et de la famille, déclare que « lorsque la famille immédiate n’est pas en mesure de s’occuper d’un enfant handicapé », le gouvernement ne doit « négliger aucun effort pour assurer la prise en charge de l’enfant par la famille élargie et, si cela n’est pas possible, dans un cadre familial au sein de la communauté. » Les familles existent sous des formes diverses et variées, notamment une grande variété de relations, dont des parents mariés ou non, des parents célibataires, des parents de même sexe, des familles adoptives, la prise en charge par l’adelphie, un autre membre de la famille ou la famille élargie, la kafala[2]Procédure d’adoption propre au droit musulman, correspondant à une tutelle sans filiation., ainsi que des familles d’accueil.

L’observation générale 5, qui porte sur la vie autonome et l’inclusion dans la société, indique clairement que, en ce qui concerne les enfants, toute situation de vie autre que dans le milieu familial doit être considérée comme une situation institutionnelle, ce qui n’est pas conforme à la CIDPH. Elle met en garde : « les foyers, qu’ils soient destinés à accueillir un grand nombre de personnes ou de petits groupes, sont particulièrement préjudiciables aux enfants, qui ont besoin de grandir dans une famille. Même si elles présentent l’apparence d’un cadre familial, les institutions restent des institutions et ne sauraient se substituer à une famille. » En ce qui concerne l’application de l’article 19 aux enfants, elle note : « s’agissant des enfants, le droit à la vie autonome et à l’inclusion dans la société suppose le droit de grandir dans un milieu familial. »

L’observation générale 5 explique le besoin de développer des services de soutien destinés aux filles et garçons handicapées, adaptés à leur âge, et de respecter leurs capacités, en constante évolution. Il est également noté que l’assistance, l’information et l’orientation des familles d’enfants handicapées est cruciale pour prévenir le placement en institution. En ce qui concerne les adolescentes, l’observation générale indique que ces dernières peuvent préférer disposer d’une assistance personnelle ou d’interprètes en langue des signes professionnelles plutôt que d’un soutien informel assuré par des proches.

La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) comporte également un article consacré aux enfants handicapées. L’article 23 de la CIDE indique que « les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité. » En mars 2022, les Comités de la CIDE et de la CIDPH ont adopté une déclaration commune sur le droit des enfants handicapées.

L’action de l’ENIL en faveur des enfants et jeunes handicapées

Depuis plusieurs années, l’ENIL plaide pour le droit de toutes les enfants à grandir en famille, y compris celles dont les besoins en assistance sont complexes. Grandir en famille donne aux enfants une bien meilleure chance de vivre de manière autonome à l’âge adulte, en particulier lorsqu’elles peuvent fréquenter les écoles de leur quartier et jouir de leur droit à une éducation inclusive. À cette fin, l’ENIL collabore avec plusieurs organisations, à savoir Disability Rights International, Validity Foundation, Inclusion International, International Federation for Spina Bifida and Hydrocephalus, International Disability Alliance et le CRIN (Child Rights International Network) en vue d’influencer les politiques internationales relatives aux droits des enfants handicapées. L’une de nos initiatives communes a consisté en un Appel à l’action, qui a reçu le soutien de plus de deux cent organisations et personnes.

En 2017, durant la Freedom Drive, l’ENIL a organisé une conférence dédiée aux enfants handicapées : le but était de faire entendre leur voix, ainsi que de promouvoir l’importance de l’assistance personnelle et de l’éducation inclusive pour les enfants handicapées. Notre contribution à la Journée de débat général de 2021 sur les enfants bénéficiant d’une protection de remplacement, organisée par le Comité des droits de l’enfant, explique le rôle que peut jouer l’assistance personnelle dans la défense du droit des enfants à grandir en famille. De manière plus générale, notre fiche d’information explique la pertinence du droit à la vie autonome des enfants handicapées, ainsi que les liens entre vie autonome et éducation inclusive.

L’ENIL s’oppose à la création d’institutions pour enfants handicapées, en particulier lorsqu’elles sont financées par l’Union européenne. Dans cette vidéo en anglais, notre membre norvégienne Marianne Knudsen parle de son expérience de vie en petits foyers lorsqu’elle était enfant. Pour plus de renseignements sur notre activité de plaidoyer contre les institutions pour enfants handicapées, consultez notre fiche d’information sur le financement.

L’ENIL possède un Réseau jeunesse actif, qui organise des campagnes sur différents enjeux pertinents pour les jeunes handicapées, ainsi que des activités d’éducation aux droits humains destinées à des groupes de jeunes en mixité handi et non mixité. L’un des thèmes sur lequel travaille notre Réseau jeunesse est le sexe et les relations interpersonnelles. Regardez ces vidéos pour en savoir plus. Pour plus de renseignements sur les activités de notre Réseau jeunesse, cliquez ici (en anglais).

References

References
1 European Network on Independent Living : Réseau Européen sur la Vie Indépendante
2 Procédure d’adoption propre au droit musulman, correspondant à une tutelle sans filiation.