Samedi 19 novembre, nous avons défilé à Paris aux côtés de nombreuses autres associations et collectifs féministes, pour manifester contre les violences sexistes et sexuelles. Nous nous sommes déplacées dans l’espoir de faire entendre les voix des femmes handicapées, isolées, marginalisées et institutionnalisées. Car aujourd’hui encore, nous restons les grandes oubliées des luttes féministes.
Pour que nos voix portent le plus loin possible, nous aimerions vous partager les revendications que nous avons lues en conférence de presse, juste avant le départ du cortège.
(Note : suite à une alerte faite par un·e militant·e sur Twitter, nous avons décidé de remplacer le mot « ségrégé » qui apparaissait dans notre texte.)
Femmes et handicapées, nous sommes doublement discriminées.
Longtemps absentes des discours féministes et des cercles militants qui ne nous sont pas accessibles, nous sommes pourtant parmi les premières victimes de violences sexuelles et sexistes : Environ 70% des femmes handicapées sont victimes de violences ou maltraitances de tout type, et 35 % subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, c’est près du double de la moyenne. 90% des femmes autistes connaissent des violences sexuelles au cours de leur vie, dont la moitié avant 14 ans. Les chiffres sont implacables, pourtant le validisme de la société nous condamne à les subir dans l’indifférence générale
Mais comment pourrions-nous témoigner quand les femmes valides rencontrent elles-mêmes déjà tant d’obstacles ? Qu’en est-il des femmes handicapées qui ne peuvent s’exprimer verbalement ? De celles qui sont tenues loin de la société, en service psychiatrique, en institution ou en prison ? Nous dénonçons la séparation systématique qui s’organise dès le plus jeune âge.
Il faut en premier lieu faire cesser l’institutionnalisation des enfants, car cette sortie précoce du monde ordinaire équivaut souvent à une condamnation à vie. Refusés de l’école publique, beaucoup d’enfants handicapés sont éloignés de leurs proches, marginalisés dans des établissements médico-sociaux où la scolarisation est négligée. Ils ne rentrent souvent que le week-end, lorsque leurs parents sont épuisés par le manque d’aides. Le modèle collectif, la promiscuité de ces structures et la dépendance accrue des enfants en font des lieux de maltraitance psychologique, physique, et sexuelle.
En grandissant, on transférera ces jeunes adultes vers des Foyers d’Accueil Spécialisés, les enfermant dans cette vie entièrement faite de collectivité, sans autonomie ni respect de leurs rythmes et besoins, avec pour seul horizon à long terme le passage en EHPAD. Les plus “chanceux” seront exploités dans des ESAT. Sous-payés pour des tâches pénibles, à une cadence qu’aucun valide n’accepterait, ces salariés sont exclus du droit du travail, du droit de se syndiquer ou de faire grève.
Et tout ce temps les violences et maltraitances continuent dans une quasi impunité, tant il est difficile pour les victimes de parler.
Le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a d’ailleurs récemment noté avec inquiétude “les difficultés d’accès à la justice auxquelles font face les personnes handicapées soumises au régime de prise de décisions substitutive, celles qui sont toujours placées en institution ou […] en milieu psychiatrique.”
Dans le meilleur des cas, les personnes handicapées ont pu être scolarisées, et vivent en logement individuel, avec plus ou moins d’autonomie. Mais face au manque d’accessibilité des transports, des lieux de vie et de sociabilisation, face au manque d’aides humaines et techniques souvent indispensables à leur liberté de mouvement, soumises à des services d’aide spécialisés qui reproduisent les contraintes de l’institutionnalisation, ces personnes se retrouvent souvent extrêmement isolées et vulnérabilisées. Nous dénonçons cette autre forme bien réelle d’exclusion.
Pour mettre fin à la surexposition des femmes handicapées aux violences sexuelles, nous revendiquons leur émancipation la plus essentielle. L’autonomie des personnes handicapées n’est pas une utopie. Les solutions existent, et le budget aussi. Il ne manque que la volonté politique de nous traiter en égales.
- Nous exigeons de l’État des moyens financiers pour créer les conditions d’une réelle inclusion scolaire, à commencer par la revalorisation du statut d’AESH. Ces postes sont occupés par des travailleuses passionnées, mais extrêmement précaires et l’instabilité de leur travail est aussi nuisible pour elles que pour la qualité de l’accompagnement offert aux élèves.
- Nous exigeons de l’État un accompagnement individualisé à domicile hors scolarité, pour toute personne handicapée, depuis l’enfance jusqu’à la fin de la vie, afin de pouvoir mener une vie de famille, conjugale, professionnelle, sans que la compensation de notre handicap ne dépendent de la solidarité ou du bon vouloir de nos proches.
- La dépendance financière est un facteur supplémentaire de violences conjugales ou intra-familiales, or l’AAH, jusqu’ici conditionnée aux revenus du conjoint, se trouve encore sous le seuil de pauvreté, même lorsqu’elle est perçue à taux plein. Nous exigeons de l’État un revenu d’existence permettant de subvenir dignement à nos besoins, afin de pouvoir fuir matériellement une relation qui deviendrait toxique.