L’Organisation des Nations Unies (ONU) a récemment réaffirmé sa position contre l’institutionnalisation des personnes en situation de handicap, dénonçant cette pratique comme une violation des droits humains fondamentaux. À travers la publication de Lignes directrices pour la désinstitutionalisation, le Comité des droits des personnes handicapées insiste sur l’urgence d’une transition vers des politiques favorisant l’inclusion et l’autonomie des personnes concernées.

Un combat pour les droits humains

L’institutionnalisation des personnes en situation de handicap est une pratique encore répandue dans de nombreux pays, souvent justifiée par une approche médico-sociale qui prétend répondre à leurs besoins spécifiques. Pourtant, l’ONU considère qu’elle constitue une forme de ségrégation, privant ces personnes de leur droit à vivre de manière autonome et d’être pleinement incluses dans la société.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), adoptée en 2006 et ratifiée par 185 États, engage ces derniers à garantir l’inclusion sociale et à promouvoir des politiques de désinstitutionalisation. Pourtant, de nombreux pays tardent à transformer leurs modèles d’accompagnement, malgré les recommandations de l’ONU.

Des chiffres alarmants

Selon les Nations Unies, 1,3 milliard de personnes vivent avec un handicap à travers le monde, soit environ 16% de la population mondiale. Pourtant, ces personnes restent parmi les plus marginalisées et discriminées. L’institutionnalisation les expose souvent à des conditions de vie inappropriées, à des abus, voire à des violences.

Les critiques de l’ONU pointent notamment :

  • Une violation des droits humains, en contradiction avec la CDPH.
  • Une approche paternaliste, qui infantilise les personnes handicapées plutôt que de leur garantir leur autonomie.
  • Une discrimination systémique, qui les isole et les empêche d’avoir accès aux mêmes opportunités que les autres citoyens.
  • Des conditions de vie inadaptées, parfois marquées par des maltraitances et des négligences.

Les recommandations de l’ONU : un appel à l’action

Pour lutter contre ces injustices, l’ONU préconise une transition vers un modèle fondé sur l’inclusion sociale et l’autonomie, en s’appuyant sur plusieurs axes :

  1. L’élaboration de stratégies nationales, avec une planification rigoureuse et un engagement politique fort.
  2. L’investissement dans les services de proximité, en redirigeant les financements des institutions vers des services personnalisés au sein de la communauté.
  3. La formation et la sensibilisation, pour déconstruire les préjugés et garantir une approche respectueuse des droits des personnes handicapées.

La France, une institutionnalisation persistante

Bien que la France ait ratifié la CDPH en 2010, elle reste régulièrement épinglée par l’ONU pour sa politique d’institutionnalisation. En septembre 2022, le Comité des droits des personnes handicapées a dénoncé la persistance de pratiques non conformes aux engagements pris par le pays, notamment le maintien de milliers de personnes en établissements spécialisés, où elles subissent fréquemment des traitements inhumains.

Les critiques portent sur :

  • Le manque d’alternatives viables permettant une vie autonome en milieu ordinaire.
  • Une politique encore centrée sur les structures institutionnelles, plutôt que sur l’accompagnement à domicile et l’inclusion.
  • Des conditions de vie préoccupantes dans les institutions, avec des cas de maltraitance avérés.

Face à ces constats, l’ONU appelle la France à légiférer pour interdire l’institutionnalisation fondée sur le handicap et à promouvoir des dispositifs de soutien plus adaptés.

Des modèles inspirants en Europe

Certains pays européens ont déjà entrepris des réformes majeures pour mettre fin à l’institutionnalisation, illustrant que cette transition est possible.

  • La Suède, pionnière de la désinstitutionalisation, a fermé la plupart de ses grandes institutions dès les années 1980, favorisant l’accès à des logements adaptés et un soutien personnalisé.
  • L’Italie, avec la loi Basaglia en 1978, a mis fin aux hôpitaux psychiatriques et développé un réseau de services communautaires favorisant l’insertion sociale.
  • Le Danemark investit dans des services de proximité, bien qu’il continue à maintenir certaines structures institutionnelles.

Ces expériences démontrent qu’une alternative est non seulement envisageable, mais qu’elle apporte des bénéfices concrets en matière de respect des droits humains et d’inclusion.

Des politiques budgétaires encore trop favorables aux institutions

Malgré ces avancées, la désinstitutionalisation peine encore à s’imposer. Dans de nombreux pays, les dépenses publiques restent largement orientées vers les établissements spécialisés au détriment des solutions favorisant l’autonomie.

Trois tendances principales se dégagent :

  1. Des dépenses en hausse pour les institutions, notamment en France, Bulgarie et Lituanie.
  2. Une transition progressive dans des pays comme le Danemark, la Slovaquie ou la Slovénie, qui commencent à réorienter leurs financements.
  3. Un modèle encore trop rare, comme en Finlande, où les dépenses pour l’autonomie sont cinq fois supérieures à celles pour l’institutionnalisation.

L’enjeu crucial réside dans une réallocation des budgets, permettant de financer des dispositifs d’accompagnement plus respectueux des droits et de la dignité des personnes handicapées.

Vers un changement de paradigme ?

La désinstitutionalisation n’est pas une utopie militante, mais une exigence des droits humains. Les recommandations de l’ONU rappellent aux États leur responsabilité : garantir à chaque personne, quelle que soit sa situation, le droit de vivre de manière autonome et de participer pleinement à la société.

Alors que certains pays montrent la voie, d’autres, comme la France, doivent encore accélérer leur transition. L’évolution des politiques publiques dépendra de la volonté politique et de la pression exercée par la société civile pour exiger un véritable changement.

L’heure n’est plus aux promesses, mais aux actes.

 


Sources

Inclusion du handicap dans le système des Nations Unies

Rapport parlementaire – La désinstitutionnalisation des personnes handicapées

Handicap : l’ONU appelle la France à revoir sa législation

ONU et handicap : nouvelle offensive contre les institutions

Rapporteur de l’ONU sur le handicap : « il n’existe pas de bons établissements » 

Repenser l’institution et la désinstitutionnalisation ?

La Suède et la prise en charge sociale du handicap, ambitions et limites

La désinstitutionnalisation en Europe ?