Témoignage de Béatrice Pradillon, malentendante

J’ai vécu la majeure partie de ma vie en étant malentendante, sans que mon handicap soit compensé. J’ai donc développé – consciemment ou inconsciemment – plusieurs stratégies pour cacher ma surdité et me fondre dans la masse, comme la lecture labiale. Malgré toutes ces stratégies, mes échanges avec les autres personnes étaient souvent comme des textes à trous, des énigmes à résoudre. 

La pandémie a changé la donne. La lecture labiale étant devenue impossible avec le port généralisé du masque (note : les masques à fenêtre permettent aujourd’hui de résoudre cette problématique), j’ai dû rapidement me tourner vers des appareils auditifs. On croit généralement que porter des appareils auditifs, c’est comme porter des lunettes. Que le monde devient par magie plus clair, plus vif et plus coloré. Le monde n’est pas devenu plus clair. Il est juste devenu plus bruyant. Avec option voix métalliques et larsens. 

Mes appareils me sont bien sûr d’une grande aide au quotidien. Mais je reste handicapée dans de nombreux contextes, notamment dans les événements culturels et festifs. 

Je limite soigneusement les concerts et festivals de musique, car les grosses enceintes risquent d’aggraver ma surdité et mes acouphènes (oui, on peut à la fois être sourde et avoir des acouphènes). 

Je ne vais plus au théâtre, puisque je suis certaine de rater des répliques. Je ne peux pas aller voir de films français au cinéma, car ils sont très rarement sous-titrés. 

D’une manière générale, tous les événements très bruyants – notamment la musique en continu – me fatiguent et m’handicapent : que ce soit les afterworks, les salons professionnels, les événements culturels ou militants, etc. Les mauvaises acoustiques sont ma hantise, notamment les grandes hauteurs sous plafond. Quand j’assiste à un événement style table ronde ou conférence, j’apprécie qu’il y ait des micros, mais soit le micro est mal réglé, soit les personnes parlent trop loin/trop près du micro, soit les enceintes grésillent… 

Au-delà du manque de compréhension, de l’isolement social, ou de l’inconfort que je peux ressentir dans ces événements, il y a aussi une fatigue auditive importante : après une soirée très bruyante, mon acuité auditive baisse, pendant plusieurs heures, parfois plusieurs jours. Mais je suis aussi fatiguée mentalement, car les environnements bruyants me demandent beaucoup d’énergie.

Les personnes malentendantes naviguent dans une zone grise, entre le monde des personnes entendantes, et le monde des personnes sourdes. Parce que nous entendons partiellement, nos besoins sont souvent minimisés ou ignorés. Je ne suis pas un cas isolé. 5,4 millions de personnes en France ont des déficiences auditives, auxquelles s’ajoutent de très nombreuses personnes non diagnostiquées. Si vous organisez un événement, vous aurez forcément des personnes malentendantes dans votre public. Vous soucier de l’accessibilité auditive, c’est leur permettre de rester, d’écouter, de comprendre, de profiter… plutôt que de subir ou d’éviter.